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Au Québec, durant chaque année scolaire, des élèves doivent passer volontairement ou non un moment hors des salles de classe, notamment lors des vacances d’été, du congé des fêtes et pendant la semaine de relâche. D’autres situations qui ne sont pas prévues dans le calendrier scolaire empêchent aussi les élèves de fréquenter l’école, par exemple un voyage ou une visite à l’hôpital pour des traitements. Ces interruptions peuvent sembler normales, mais elles sont susceptibles d’entraîner des répercussions importantes sur l’apprentissage, particulièrement pour les élèves en difficulté.

La maladie à coronavirus 2019, qui a touché le Québec à partir de mars 2020, a eu l’effet d’un raz-de-marée dans plusieurs domaines, dont l’éducation. Afin d’éviter la propagation du virus, le gouvernement du Québec a pris la décision, à la mi-mars, de fermer les établissements scolaires. La situation a provoqué un débat sur la nécessité d’ouvrir les écoles et de maintenir le contact avec les élèves pendant la pandémie. L’interruption scolaire peut être néfaste, particulièrement pour les élèves défavorisés et ceux en difficulté, qui représentent près de 20 % des effectifs scolaires québécois[1]. Passer un long moment hors des salles de classe peut faire perdre leurs acquis aux élèves ou aggraver leurs difficultés d’apprentissage[2].
 

La glissade de l’été

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Bien que les vacances estivales soient présentes internationalement dans l’ensemble des systèmes scolaires, elles peuvent avoir une influence néfaste sur le succès scolaire. Au revenir des vacances, les élèves risquent d’avoir perdu certains acquis, phénomène qui est nommé « la glissade de l’été »[3]. La raison de cette diminution des acquis est que les élèves ne sont pas suffisamment stimulés durant la période estivale. L’effet de ce manque de stimulation est si grand que, selon la méta-analyse de John Hattie de l’Université de Melbourne en Australie, les longues vacances d’été sont le troisième facteur nuisant le plus à la réussite scolaire, après l’abus de télévision et le redoublement[4].

Les vacances d’été sont habituellement le moment où les disparités entre les élèves s’élargissent le plus. Puisque les élèves de milieux favorisés sont généralement plus stimulés hors de l’école que les élèves de milieux défavorisés, ces derniers risquent de voir leurs habiletés diminuer plus fortement pendant l’été. De même, les élèves en difficulté ont moins d’acquis que leurs camarades lorsque l’école se termine et ils éprouvent donc un retard plus prononcé au retour en classe[5]. Ces retards peuvent s’accumuler d’une année à l’autre, l’écart entre les élèves grandissant encore plus au fil des ans. Les vacances trop longues sans stimulation sont ultimement associées au décrochage scolaire et à un niveau de scolarité plus faible au début de la vingtaine[6]. Ainsi, les plus grands perdants des vacances d’été sont les élèves qui ont déjà le plus besoin d’aide de l’école : les élèves en difficulté et les élèves issus de milieux défavorisés.
 

Des interruptions imprévues

D’autres situations imprévues engendrent aussi parfois une suspension de l’enseignement en cours. Des élèves peuvent voir leur année scolaire mise sur pause pour des raisons personnelles, que ce soit un voyage, des problèmes de santé ou de la négligence parentale. Ces situations, selon leur nature, peuvent apporter d’autres défis qui font obstacle à l’apprentissage[7]. Par exemple, le stress causé par la maladie peut empêcher un élève de se concentrer à l’école, même lorsque la période d’hospitalisation est terminée. Cet élève pourrait alors avoir de la difficulté à surmonter son retard, même si des mesures de rattrapage sont entreprises.

De plus, des événements affectant l’ensemble d’une collectivité peuvent interrompre simultanément la scolarisation d’un grand nombre d’élèves. À titre d’exemple, les conflits armés rendent impossible la scolarisation en forçant les élèves à fuir ou en les confinant chez eux[8]. Le cours normal de l’année scolaire étant perturbé, les éléments qui devraient être enseignés ne sont pas nécessairement vus et leur apprentissage est relégué à plus tard. Dans ces situations, les élèves et les enseignants arrivent difficilement à rattraper le retard. Conséquemment, de larges pans de la population sont susceptibles de présenter une scolarisation déficiente, ce qui risque d’avoir un effet négatif sur la société[9].
 

L’accompagnement à la maison

Soutenir les élèves à la maison permet de contrecarrer les effets négatifs d’une interruption scolaire prolongée. Des parents recourent à des tuteurs afin d’encadrer leurs enfants alors que d’autres choisissent de faire cet accompagnement par eux-mêmes. Parmi ces derniers, les parents qui travaillent ne sont pas toujours en mesure d’offrir leur aide de façon optimale, par exemple parce qu’ils ne sont pas suffisamment disponibles pour intervenir efficacement auprès de leurs enfants. Certains peuvent se sentir démunis dans la scolarisation de leurs enfants, puisqu’ils pensent ne pas avoir les connaissances nécessaires[10]. Ainsi, le soutien des parents diffère souvent d’une famille à une autre.

L’école a un rôle à jouer afin d’épauler les parents dans leur intervention auprès de leurs enfants. L’approche écosystémique, développée initialement par le psychologue et chercheur américain d’origine russe Urie Bronfenbrenner[11], vise à décrire la nature et la complexité des interactions dans la vie d’un individu[12]. Cette approche permet d’analyser les interactions entre les différents systèmes dans lesquels évoluent les élèves, par exemple leur école, leur famille, leur quartier. Selon l’approche écosystémique, les interactions de l’élève avec son environnement ainsi qu’entre les différents systèmes autour de lui influencent son apprentissage[13]. Toujours selon cette approche, la réussite scolaire est entre autres favorisée par de forts liens entre les systèmes familial et scolaire. Cependant, les enseignants estiment parfois que les parents sont « irresponsables » ou « absents », alors que ceux-ci ont l’impression de ne pas comprendre le fonctionnement de l’école[14]. Dans ces cas, la collaboration école-famille ne peut avoir lieu, du fait que la confiance, le respect et l’écoute ne sont pas présents[15].

L’apport de la relation entre les enseignants et les parents peut prendre différentes formes. Les enseignants peuvent assurer une certaine part des activités d’enseignement à l’aide d’outils technologiques. Par exemple, pendant le confinement mis en place lors de la crise de la COVID-19, des enseignants ont effectué des activités à distance avec leurs élèves. De même, certains éducateurs ont mis en place des clubs de lecture virtuels estivaux ; ceux-ci ont été reconnus efficaces pour aider les élèves à ne pas perdre leurs acquis en lecture[16]. Les enseignants peuvent aussi conseiller les parents sur les éléments à travailler et sur les activités à inclure dans la routine quotidienne, et leur expliquer comment ils peuvent contribuer à la scolarisation de leurs enfants.
 

L’école à distance

Les technologies sont fortement utilisées afin de mitiger les répercussions d’interruptions scolaires. Cependant, trop se fier à la technologie mène à certains écueils. Premièrement, l’utilisation de la technologie demande d’être à l’aise avec celle-ci ; les familles ne possédant pas les connaissances ou les moyens nécessaires pour se procurer un ordinateur ne peuvent donc pas en bénéficier. Ainsi, les inégalités sociales demeurent ici aussi un obstacle important[17]. Deuxièmement, certaines études révèlent que l’usage de la technologie peut nuire à l’apprentissage. Par exemple, un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques indique que plus les technologies sont utilisées à l’école, plus les résultats scolaires des élèves en souffrent[18]. En effet, ce rapport démontre que l’investissement dans les technologies ne permet pas à lui seul d’améliorer les résultats des élèves ; la technologie doit être utilisée conjointement avec des pratiques d’enseignement efficaces[19].

Peu importe le contexte social et la situation familiale, les élèves doivent rester stimulés afin d’activer leur matière grise tout au long d’un moment sans école. Ce travail est particulièrement important pour les élèves les plus à risque, c’est-à-dire ceux présentant des difficultés d’apprentissage et les élèves issus de milieux socioéconomiques défavorisés. Avec les nouvelles technologies, des manières inédites d’amener l’école à la maison lors d’interruptions scolaires ont émergé. Cependant, l’efficacité de ces méthodes doit encore être démontrée et étudiée plus en profondeur, surtout que la coordination école-famille reste parfois fragile. Le milieu de l’éducation et les entrepreneurs pourraient développer des techniques et du matériel permettant de stimuler intellectuellement de façon adéquate les élèves tout au cours du temps passé hors de l’école. Le confinement en raison de la COVID-19 – d’une durée d’au moins six mois à Montréal – aura peut-être fait émerger de nouvelles techniques et technologies afin que soit assuré, même hors de l’école, un apprentissage continu. Toutefois, l’effet que cette interruption scolaire aura sur l’éducation des élèves du Québec et d’ailleurs reste à être évalué, tant sur le plan de leurs apprentissages que sur celui de leur santé physique et mentale.

 

— Un article de Gabrielle Joli-Coeur, étudiante au programme de maîtrise en didactique à l'Université de Montréal

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