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Les anglophones qui apprennent le français ont tendance à employer excessivement des mots anglais au cours des activités pratiques en classe. Cette situation est causée par une carence en vocabulaire et par la tendance naturelle à minimiser l’incidence d’une mauvaise traduction anglais-français. L’édition 2023 de la Journée internationale de la Francophonie, qui s’est récemment tenue à Montréal, a justement permis de recentrer les débats autour des anglicismes. À ce propos, des linguistes suggèrent certaines mesures préventives, en particulier l’utilisation des termes équivalents en français et la reformulation des phrases.

« Je vais prendre un vol domestique », déclare Joyce, étudiante de français dans un centre de langue à Montréal. Lorsque son enseignante l’interroge sur sa destination, Joyce lui répond : « Je vais à Ottawa, madame. » La professeure comprend alors que Joyce a traduit littéralement l’anglais « I will take a domestic flight ». Elle a utilisé un anglicisme de sens [1] qui doit être corrigé.

Le cas de Joyce rappelle celui de nombreuses personnes anglophones qui apprennent le français, mais qui n’ont pas encore acquis le vocabulaire approprié pour s’exprimer avec justesse dans cette langue. Cependant, le recours aux mots anglais altère parfois la signification des phrases en français. C’est la raison pour laquelle, en classe de langue, l’enseignant ou l’enseignante interpelle les élèves sur leurs erreurs et les amène à se corriger.

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L’obligation de reformuler un propos à cause de la présence d’un anglicisme montre que l’utilisation des mots anglais peut conduire les élèves à la faute. L’emprunt anglais, qui existe surtout dans les communautés anglophones [2], n’est donc pas toujours bénéfique à l’apprentissage.
 

Les formes 

Un anglicisme traduit un emprunt à l’anglais [3], lequel peut avoir des effets positifs ou négatifs sur l’apprentissage d’une langue étrangère. L’effet positif a lieu lorsque l’emploi de l’anglais n’altère pas le sens de la phrase en français [4]. De son côté, l’effet négatif survient lorsque l’anglicisme utilisé modifie le sens d’une expression déjà existante en français. Les anglicismes existent sous différentes formes : intégrale, hybride, sémantique, morphologique, phonétique et syntaxique [5].

L’anglicisme intégral reflète l’usage du mot anglais en français, sans aucune modification. C’est le cas des mots week-endou piercing. La création d’un nouveau lexique à partir de l’anglais est dite hybride. En général, ce procédé consiste à ajouter un suffixe français (-eur-er, etc.) à la fin d’un mot d’une autre langue. Par exemple, l’anglicisme « dealer » est formé du mot anglais « deal » auquel le suffixe « -er » a été ajouté. Le mot « hockeyeur », de son côté, est formé du mot « hockey » et du suffixe « -eur ».

L’anglicisme sémantique correspond à une mauvaise traduction ou à une modification de sens prêtant à confusion [6]. Ainsi, la phrase « J’ai obtenu ma position en 2011. » pour dire « J’ai obtenu mon poste en 2011. » illustre ce type d’erreur, par lequel le locuteur ou la locutrice se trompe de vocabulaire et emploie un mot qui a une signification différente en français et en anglais.

L’anglicisme morphologique, en revanche, a trait aux terminaisons ajoutées aux mots sous l’influence de la langue anglaise [7] et aux erreurs liées à la formation du vocabulaire. Cette forme d’anglicisme est parfois considérée par les linguistes comme une erreur d’orthographe [8]. Quelques exemples incluent apartmentaddresstransformeur, confondus respectivement avec appartementadresse et transformateur
L’anglicisme phonétique est une faute de prononciation liée à l’influence de l’anglais, une discrimination auditive ou toute erreur affectant la phonétique d’un mot [9]. Les expressions « étoudiant », pour dire étudiant, « course », pour dire cours, et « alco-hol » pour dire alcool en sont des illustrations.

Enfin, l’anglicisme syntaxique met en exergue la traduction littérale de chaque mot. C’est l’erreur la plus courante dans les activités de traduction de la grammaire parce que tous les mots anglais n’ont pas nécessairement un équivalent en français ou une interprétation parfaitement identique [10]. En effet, des expressions telles que « to be on a committee », « to go on foot » ne se traduisent pas littéralement en « être sur un comité » ou encore « aller sur pied ».

Au-delà de ces incidences linguistiques, les anglicismes constituent un problème culturel, notamment au Québec qui, contrairement à certaines régions françaises, les associe à une présence envahissante de la civilisation anglo-américaine [11]. La crainte des transferts excessifs est réelle [12], puisque les mots anglais pouvant être traduits continuent d’être transposés dans les conversations en français. L’objectif est donc de réduire le plus possible les constructions franco-anglaises du genre « J’ai le feeling que… » ou « Vous m’avez chargé quel montant ? », car ces locutions ont des équivalents en français qui conduisent aux reformulations suivantes : « J’ai le sentiment que… », « Vous m’avez facturé quel montant ? »
 

Le vocabulaire 

L’utilisation des termes correspondants en français est recommandée par Michèle Lenoble-Pinson, vice-présidente du Conseil international de la langue française, et c’est ce qui justifie l’emploi des mots-valises, c’est-à-dire des mots issus de la combinaison d’éléments provenant de deux mots (p. ex., baladeur + diffusion qui forment baladodiffusion). Au Canada, les mots-valises sont pour la plupart approuvés par l’Office québécois de la langue française (OQLF). Dans le cas où la traduction d’un mot est impossible, les reformulations avec les mots-valises sont encouragées.  Michèle Lenoble-Pinson renforce cette idée en soutenant que les équivalents anglo-américains doivent se construire en français pour enrichir le lexique et améliorer le discours des locuteurs et des locutrices [13].

L’action de relever les mauvaises formulations et de suggérer des remplacements adéquats aux anglicismes est typique de ceux et celles qui enseignent la langue française et qui veulent enrichir le vocabulaire de leurs élèves [14]. À ce titre, le professeur ou la professeure amènera les élèves à reformuler des constructions telles que « Je vais préparer mon speech » par « Je vais préparer mon discours ».

D’autres stratégies favorisant l’acquisition du vocabulaire et contribuant à limiter les anglicismes incluent la répétition, l’exploration et le réemploi. La répétition consiste en la reproduction d’une phrase ou d’une partie d’un énoncé [15]. L’élève peut ainsi répéter un mot dans différentes activités et visualiser ses multiples utilisations dans la langue française. Par exemple, les expressions « aller à la piscine » et « aller danser » permettent de voir que le verbe aller s’emploie avec une préposition pour indiquer un lieu et avec un autre verbe pour parler d’une action à réaliser.

L’exploration fait référence à la découverte du sens d’un mot, à ses cooccurrents, à ses propriétés et à ses conjugaisons possibles [16]. Elle fait partie des méthodologies d’enseignement moderne qui placent davantage l’élève au centre de l’apprentissage [17]. Au cours d’une activité d’exploration, le professeur ou la professeure pourrait par exemple demander à ses élèves de nommer des mots liés à la thématique de l’alimentation pour constituer une base de données pertinente. Les élèves proposeront donc une liste de mots plus ou moins exhaustive incluant des termes tels que mangerlégumesviandesavoir faimcuisinecuisinerrégime et autres.

Enfin, le réemploi consiste en l’exploitation des dénominations apprises dans le but de renforcer leur assimilation par l’élève. Les activités qui s’y rattachent peuvent inclure des travaux dans un contexte identique ou différent de l’apprentissage initial, et confirment que l’élève a suffisamment intégré le mot pour l’utiliser à bon escient [18].
 

Les traductions impossibles

L’existence des anglicismes dont l’emploi ne modifie pas les énoncés en français divise l’opinion sur les risques qu’ils présentent [19]. Tandis que certaines communautés considèrent que l’emprunt à l’anglais est un signe de modernité [20], les conservateurs suggèrent d’utiliser des mots-valises lorsque les traductions sont impossibles. Concrètement, les mots-valises sont des néologismes que les organismes comme l’OQLF normalisent pour résister à l’utilisation de l’anglais dans la langue française. Quelques exemples de mots-valises créés au Québec pour remplacer les mots anglais podcastingchatemail et spam incluent baladodiffusionclavardagecourriel et pourriel[21].

La reformulation, soit une formulation différente de ce qui a déjà été exprimé [22], est un autre moyen de lutter contre les anglicismes. En effet, cette stratégie permet de clarifier des propos en utilisant d’autres termes plus appropriés [23]. Par exemple, lorsque l’élève dit « je suis faim », il traduit littéralement « I am hungry ». Une bonne reformulation le conduira à exprimer plutôt « j’ai faim ». L’exercice nécessite cependant une bonne connaissance du vocabulaire et la capacité de jouer avec les mots.

L’interférence entre l’anglais et le français est naturelle pour les apprenants et les apprenantes, spécialement pour ceux et celles qui commencent leur apprentissage du français. La tâche la plus ardue vise d’ailleurs à distinguer les emprunts qui ne modifient pas le sens de ceux qui dénaturent une idée au point de rendre les interactions difficiles. Quelques approches suggérées par les linguistes intègrent l’acquisition d’un vocabulaire approprié et le recours aux mots-valises ou aux reformulations dans les traductions complexes [24].

Toutefois, le débat sur les anglicismes perdurera aussi longtemps que les spécialistes de la langue resteront divisés sur l’ampleur et l’impact des emprunts à l’anglais. Aux antipodes des conservateurs qui s’inquiètent des mauvaises traductions et de l’envahissement de la civilisation anglo-américaine, des linguistes sont d’avis que le modernisme actuel force l’emprunt à l’anglais et que les effets positifs ne sauraient être négligés. Et au milieu de ce débat incessant se situent les élèves, en quête d’une uniformisation des pratiques pour de meilleures communications.

 — Un article de Karine Manga A Nyam, étudiante au programme de doctorat en sciences de l'éducation à l'Université de Montréal


 

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