Ophiocordyceps unilateralis.png

Dans mon article précédent, je présentais les résultats d'études qui ont mis en  évidence l'existence de signaux électriques qui parcourt la partie racinaire de certains champignons qu'on appelle le mycélium. Certains de ces travaux semblent suggérer que ces signaux électriques puissent coder la présence de bois au contact du réseau mycélien.

Partant de ces données, on doit s'interroger: pour quelle raison une partie du mycélium transmettrait-il comme information aux parties du réseau qu'elle se trouve au contact d'une source qui l'alimente? Autrement dit comment cette information pourrait profiter au reste du réseau mycélien? L'analogie que nous sommes amenés à faire avec le codage binaire mentionné par Jean-Pierre Changeux est peut-être trompeuse ici. Le bois représente pour le mycélium une source d'énergie métabolique, mais pas sous forme d'impulsions électriques. Supposons que cet apport d'énergie métabolique soit transformé par le champignon en impulsions électriques, dans ce cas, pourrait-on imaginer que les impulsions électriques puissent être à leur tour transformées en énergie métabolique? Si ce phénomène de transformation réversible pouvait être observé alors l'observation par Olson et ses collaborateurs de l'augmentation de la cadence des impulsions électriques au contact du bois prendrait un autre sens: il ne s'agirait plus ici de transmettre une information, mais plutôt de transmettre de l'énergie à l'ensemble du réseau.

J'ai évoqué cette idée de transfert d'énergie possible pour le cerveau humain dans un autre article. Cette réflexion m'apparaît intéressante, car elle suggère qu'un phénomène de transfert énergétique pourrait avoir précédé et être à la base par la suite du phénomène de codage le plus simple par impulsions électriques.

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Un phénomène surprenant: les insectes zombies

Certes l'idée peut paraître intéressante, mais du monde des champignons à celui du règne animal, il y a un immense saut évolutif qu'on n'imagine pas facilement être franchi. Et pourtant certains phénomènes biologiques laissent songeur. Certaines espèces de champignons, notamment celles du genre Ophiocordyceps, sont connues pour parasiter des insectes, des espèces de cigales, mais le plus souvent des fourmis. Ce phénomène de parasitisme est assez particulier du fait que le champignon contrôle le comportement de l'insecte. La fourmi infectée délaisse sa colonie pour grimper sur une plante à une certaine hauteur. Arrivée sur place, elle est forcée d'enfoncer ses mandibules à un endroit précis de la plante. À ce stade, la fourmi est condamnée à rester là où elle se trouve, le champignon qui a colonisé l'intérieur de son organisme pousse maintenant à l'extérieur du corps de l'insecte pour pouvoir ensuite y répandre ses spores. Il est nécessaire que la fourmi parasitée ait grimpé sur la plante et atteint une certaine hauteur pour que les spores qui seront produites par le champignon puissent se retrouver dans le corps d'autres fourmis passant en dessous de façon à compléter le cycle reproductif de l'organisme parasitaire.

Le phénomène des animaux zombies est plus répandu qu'on le pense. Des espèces de divers embranchements du vivant parviennent à modifier le comportement d'autres espèces à leur avantage pour leur reproduction. Les champignons eux-mêmes ne se limitent pas à "zombifier" des insectes. L'un d'entre eux, Batrachochytrium dendrobatidis, modifie le comportement reproducteur chez les mâles d'une espèce de grenouille.

Comment un champignon parvient-il à contrôler le comportement d'une fourmi? Une étude portant sur la fourmi charpentière ( Camponotus castaneus ) infectée par l'espèce Ophiocordyceps unilatéralis a permis de visualiser l'intérieur du corps de l'insecte au moment où la fourmi se fixe de façon permanente à un substrat par ses mandibules. Des cellules fongiques ont été trouvées dans tout le corps de l'insecte sauf dans le cerveau. Entre autres, les cellules fongiques ont envahi les fibres musculaires de la fourmi parasitée et se sont réunies pour former des réseaux encerclant les muscles. Du fait que le parasite est absent du cerveau à ce stade-ci, cela implique que le contrôle comportemental du corps de l'animal se produit de manière périphérique. Mais pour contrôler le comportement d'un insecte à ce niveau de précision, le parasite fongique doit connaître d'une certaine façon sa position. Donc, décoder cette information. Un organisme qui peut décoder de l'information devrait être en mesure de coder des informations et on imagine que cette capacité de codage doit intervenir pour contrôler les contractions musculaires des pattes de la fourmi. Voilà qui est pour le moins intrigant et qui laissent pour l'instant les scientifiques sans réponse.

Quand est apparu au cours de l'évolution ce phénomène de contrôle comportemental par un champignon? La morsure des fourmis infectées à un endroit précis des feuilles d'une même espèce de plante laisse une marque caractéristique reconnaissable et certaines de ces feuilles se sont fossilisées. Dans une étude, David Hughes et ses collaborateurs mentionnent avoir identifié l'une de ces marques caractéristiques sur un fossile de feuille, trouvé dans la carrière de Messel, en Allemagne, ayant été daté de 48 millions d'années. Dès le milieu de l'Éocène, il existait donc une espèce de champignon qui pouvait parasiter le comportement d'une fourmi. Voilà qui mérite réflexion. 

 

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