Vision brun en cage

La grippe aviaire, ou H5N1, serait-elle en train de subir des mutations qui l’approchent sensiblement de nous ? C’est le signal d’alarme lancé après sa détection en Espagne, dans un élevage de visons.

Lorsque les animaux avaient commencé à mourir en octobre 2022 dans cet élevage du nord-ouest du pays, on a d’abord soupçonné une mutation du coronavirus. Des analyses de laboratoire ont plutôt révélé qu’il s’agissait du H5N1. Les travailleurs ont été placés en quarantaine, l’ensemble de l’élevage —plus de 50 000 animaux— a été euthanasié et leurs restes, brûlés. Au final, aucun humain n’a été malade, mais l’incident, tel qu’il a été décrit en janvier dans la revue Eurosurveillance — consacrée au suivi des maladies infectieuses— relance les inquiétudes sur l’évolution du H5N1.   

Il faut rappeler que ce H5N1 —ou « sous-type H5N1 du virus de la grippe A »— que l’on appelle communément « grippe aviaire » (mais qui n’est pas la seule souche de grippe à affecter les oiseaux), n’est plus exclusif aux oiseaux. Sa première observation chez un humain remonte à 1997, à Hong Kong, et coïncidait avec une éclosion dans les élevages de poulets. Depuis, les cas humains sont restés rarissimes, quoique le taux de mortalité soit très élevé. Aucun de ces cas n’a toutefois montré de mutations qui lui auraient permis de se transmettre entre humains. Entretemps, de mutation en mutation, on a vu le virus se répandre chez de plus en plus d’espèces d’oiseaux sauvages, provoquant à l’occasion des éclosions majeures: en 2004-2005 notamment. Il a été détecté pour la première fois chez des porcs en 2005, accroissant les craintes d’une pandémie similaire à celle de 1918-1919, appelée à tort « grippe espagnole » et qui était possiblement elle aussi, à l’origine, une grippe « aviaire ».

Abonnez-vous à notre infolettre!

Pour ne rien rater de l'actualité scientifique et tout savoir sur nos efforts pour lutter contre les fausses nouvelles et la désinformation!

2022 a été à cet égard une année-clef: rien qu’au Canada, des millions d’oiseaux d’élevage contaminés, et à travers le monde, des contaminations qui semblent suivre les routes migratoires des oiseaux sauvages. En plus de détecter tout à coup le virus chez toutes sortes d’animaux sauvages, dont des renards, des ours et des chats, présumément à la suite d’un contact avec un oiseau mort. Y compris, au Québec, chez des mammifères marins, comme le phoque commun.

En temps normal, un virus est réservé à une seule espèce. Pour qu’un oiseau puisse contaminer un représentant d’une autre espèce, il faut que « son » virus ait subi une mutation, et au moins une de plus pour qu’il puisse ensuite se répandre dans cette nouvelle espèce. Dans le cas du H5N1, un quart de siècle après l’alerte de Hong Kong, ça commence donc à faire beaucoup de mutations. Et si le phoque commun a peu de contacts avec notre espèce, il n’en est pas de même d’animaux d’élevage comme le vison —en plus du fait que ces visons semblent pouvoir s'être transmis le virus entre eux, alors que la transmission entre mammifères semblait jusqu’ici plus difficile.

« C’est clairement un mécanisme pour lancer une pandémie de type H5 », commente dans la revue Science le virologue britannique Tom Peacock. « Un signal d’alarme », nuance la chercheure en médecine vétérinaire Isabelle Monne, du Laboratoire de l’Union européenne sur la grippe aviaire, où les échantillons espagnols ont été analysés.

Une des mutations observées cette fois, appelée T271A, se trouve dans un gène servant à produire une enzyme, la polymérase. Cette mutation, qui avait déjà été observée chez d’autres mammifères, permettrait au virus de se répliquer plus facilement dans des tissus de mammifères. Une autre mutation elle aussi observée dans le passé et censé faciliter cette transmission, n’a toutefois pas été observée chez les visons espagnols, un signe encourageant, notent les auteurs de l’étude dans Eurosurveillance.

Quel que soit le niveau réel de risque pour les humains, l’élevage du vison pourrait en payer le prix: déjà critiqué depuis longtemps par les défenseurs des droits des animaux, il risque à présent de se retrouver avec un argument de plus chez ceux qui réclament son abolition.

 

Photo: Fur Institute of Canada

Je donne