Les contaminants chimiques sont omniprésents dans l’environnement et peuvent pénétrer dans notre organisme via l’air, l’eau ou la nourriture. Les récentes avancées en biosurveillance donnent accès à une estimation plus précise, par des échantillons de sang, d’urine ou de cheveux. Alors que de grandes enquêtes permettent de mieux cerner les taux à l'échelle de la population canadienne, de nombreux défis demeurent pour les acteurs de la santé publique. L’enjeu ? Comprendre les impacts sur la santé de la population.
Sept heures, Camille se lève. Après avoir rapidement bu un café, mangé une orange et s’être lavé les dents, elle sort sur le boulevard, où les voitures sont déjà collées les unes derrière les autres dans le trafic matinal. Est-ce que ce scénario assez commun peut servir à estimer le nombre et la quantité de substances chimiques avec lesquelles l’organisme de Camille est entré en contact, et à évaluer si cette exposition est préoccupante pour sa santé ? Quelle quantité de benzène* dans l’air ou d’acrylamide* dans son café a réellement pénétré dans son organisme ? Le fluorure, présent dans son dentifrice et dans l’eau du robinet, a-t-il été absorbé en une quantité qui pourrait s’avérer toxique ? Voilà les questions auxquelles les acteurs de la santé publique et les chercheurs essaient de répondre en mesurant les contaminants dans l’environnement et en estimant l’exposition de la population à ces substances par des calculs mathématiques. Aussi, depuis plusieurs années, une approche appelée la « biosurveillance » permet de mesurer directement la quantité de substances chimiques qui a pénétré l’organisme. Cette méthode est plus précise que l’estimation mathématique, et les efforts se tournent maintenant vers une meilleure compréhension des effets sur la santé que peuvent avoir ces niveaux de substances absorbées.
Une traque jusque dans le sang
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La biosurveillance est définie comme la mesure des contaminants environnementaux (substance mère ou son métabolite*) dans une matrice biologique telle que l’urine, le sang ou les cheveux [i]. Un exemple connu de biosurveillance est la mesure de la concentration de plomb dans le sang afin de détecter des cas d’intoxication (aussi appelée « saturnisme »). Pour Camille, la biosurveillance permettrait, entre autres, de mesurer la quantité de pesticides qu’elle a absorbés après avoir mangé son orange. Le chlorpyriphos*, insecticide couramment retrouvé sur ce type de fruit, peut être analysé grâce à la mesure de son métabolite dans l’urine de Camille quelques heures après son petit-déjeuner, ce qui permet d’estimer la dose à laquelle elle a été exposée [ii].
La biosurveillance a de nombreux avantages et peut être utilisée dans différents buts : elle peut rendre compte de l’exposition aux substances chimiques dans la population échantillonnée ou encore permettre de comparer les niveaux de contaminants de sous-groupes de la population (par exemple, pour déterminer si les enfants sont plus exposés que les adultes). Dans un cadre de gestion de risques, elle permet d’évaluer le rendement des mesures préventives mises en place, comme l’efficacité d’une réglementation ou d’une norme visant à diminuer les rejets dans l’environnement [iii]. Toutefois, la biosurveillance comporte plusieurs défis et inconvénients (voir le tableau 1), dont la nature invasive de certains échantillonnages (les prises de sang par exemple, particulièrement lorsque le prélèvement doit être fait chez les enfants). Le coût relié aux analyses est aussi généralement élevé, puisque celles-ci demandent du matériel et des outils spécialisés. Finalement, la biosurveillance peut être complexe à utiliser, car des protocoles et techniques de laboratoire spécifiques à la substance doivent être développés pour les mesures, et ceux-ci ne sont pas forcément disponibles pour tous les contaminants [iv].
AVANTAGES |
INCONVÉNIENTS |
· Mesure de l’exposition réelle de la population aux substances chimiques, car toutes les sources et voies d’exposition sont incluses · Comparaison des sous-groupes · Suivis spatio-temporels · Évaluation des risques associés à l’exposition · Détection de problématiques de contaminants émergents · Évaluation des moyens de gestion de risques mis en place |
· Approche possiblement invasive (ex. : prise de sang) · Mise en place longue et difficile · Approche coûteuse · Nécessité de développer des techniques de laboratoire spécialisées pour l’analyse des substances |
Tableau 1 : Avantages et inconvénients associés à l’utilisation de la biosurveillance pour mesurer les niveaux d’exposition aux substances chimiques dans la population
Des enquêtes à grande échelle
Dans les dernières décennies, de grandes enquêtes de biosurveillance ont été mises en place à travers le monde. Les enquêtes NHANES (National Health and Nutrition Examination Survey, États-Unis) et HBM4EU (Europe) en sont deux exemples. NHANES est une enquête en cours depuis les années 1960 qui mesure plus d’une centaine de substances ou métabolites dans l’organisme (ex. : mesure du cadmium* dans le sang) d’environ 5 000 Américains par cycle de deux ans [v]. À titre d’exemple, cette enquête a pu démontrer une baisse de la concentration de cadmium sanguin entre 1988 et 2008 [vi]. Ce résultat peut, entre autres, être attribué aux mesures prises pour contrôler le tabagisme (actif et passif), qui représente une source importante de cadmium pour la population [vii]. La récente enquête HBM4EU réunit 28 pays d’Europe et a débuté en 2017. Elle inclut la mesure de nombreux contaminants environnementaux dans différentes matrices biologiques, et les résultats à venir permettront la surveillance de l’exposition à l’échelle nationale et internationale.
Le Canada n’est pas en reste dans l’utilisation de cette approche, puisque plusieurs enquêtes en cours telles que l’étude MIREC (Maternal-Infant Research on Environmental Chemical) ou l’ECMS (Enquête canadienne sur les mesures de la santé) incluent une composante de biosurveillance. Alors que MIREC s’intéresse particulièrement à l’exposition des femmes enceintes et de leur enfant, l’ECMS recueille des informations sur la santé de la population générale [viii]. Cette enquête est menée par cycle de deux ans et a permis, depuis 2007, de mesurer environ 270 substances dans l’urine, le sang ou les cheveux de plus de 30 000 participants [ix]. Les données pour chaque cycle sont publiées et accessibles au travers de rapports dont le dernier, publié en août 2017, retranscrit les données de biosurveillance du cycle 4 (2014-2015) [x]. L’analyse des données de biosurveillance de l’ECMS a montré une diminution de 80 % des taux actuels de plomb sanguin par comparaison aux taux de 1978-1979 chez les Canadiens [xi]. Les concentrations en contaminants, ou niveaux d’imprégnation, de certains sous-groupes sont aussi comparées dans le but de détecter les populations plus exposées, comme pour le bisphénol A*, dont les effets comme perturbateur endocrinien* sont bien connus. L’analyse de sous-populations a montré que les concentrations en bisphénol A sont plus élevées chez les enfants que chez les adultes, alors qu’elles sont moins élevées chez les femmes que chez les hommes [xii]. Par ailleurs, les enfants québécois de 6 à 11 ans sont plus exposés à cette substance que leurs semblables du reste du Canada [xiii]. Ces études permettent ainsi la surveillance de ce contaminant dans la population, une nécessité au Canada, qui a été le premier pays à déclarer le bisphénol A toxique et à l’interdire dans les biberons [xiv] (par l’entremise de la Loi canadienne sur la sécurité des produits de consommation).
Des relations toxiques
L’observation des niveaux de contaminants dans la population est extrêmement utile, mais le défi actuel est de pouvoir interpréter ces concentrations du point de vue des risques qu’elles peuvent faire courir à la santé de la population. Cet exercice nécessite de connaître le lien complexe entre les taux de substances internes (ex. : fluorure dans l’urine) et l’apparition d’effets à la santé (ex. : fluorose dentaire) [xv]. Pour le moment, ces informations ne sont disponibles que pour très peu de substances, mais les données de l’ECMS sont tout de même interprétées sous cet angle pour chaque substance dont la relation entre les niveaux d’imprégnation et l’effet toxique est connue. Cette analyse est parfois faite pour certains sous-groupes de population lorsqu’on le juge nécessaire (ex. : population québécoise, enfants et adultes, fumeurs et non-fumeurs ) [xvi]. Ainsi, le dernier exercice publié en 2014 par Santé Canada a révélé des niveaux d’exposition à l’arsenic* inorganique* potentiellement préoccupants pour la santé dans la population générale et pour le cadmium chez les fumeurs [xvii]. Un nouvel exercice en cours portant sur les données plus récentes confirme ce résultat. Le fait de connaître un niveau d’exposition potentiellement problématique pour la santé permet de dresser une liste de contaminants prioritaires pour un suivi plus approfondi par Santé Canada. Par exemple, l’arsenic inorganique est un des contaminants priorisés par la biosurveillance et pour lequel des efforts en analyse et gestion de risques ont déjà été mis en place. En effet, des enquêtes ciblées sur cette substance ont permis de définir le riz comme étant une source importante d’exposition à l’arsenic. Des actions ont alors été mises en place pour tenter de réduire l’exposition à ce contaminant, dont la recommandation de varier les sources alimentaires [xviii]. Cette recommandation est particulièrement importante pour certaines populations plus exposées, comme celles consommant de nombreux produits sans gluten à base de riz. Plus récemment, Santé Canada a annoncé que la Direction des aliments effectuait la mise à jour des concentrations maximales en arsenic dans certains aliments et boissons (ex. : eau vendue dans des contenants scellés) [xix]. Le cadmium est une substance également priorisée et pour laquelle l’étude des sources d’exposition a montré la présence de ce métal dans certains types de bijoux, ce qui a conduit à émettre la recommandation d’éviter de donner ces bijoux fantaisie aux enfants ayant tendance à les porter à la bouche [xx].
La biosurveillance est de plus en plus utilisée à travers le monde parce qu’elle permet de répondre aux inquiétudes de la population face à la contamination de son environnement. Toutefois, la quantité de données qu’elle génère est grandissante et deux éléments sont incontournables : la qualité des données devra être surveillée et assurée, et les chercheurs devront être en mesure de les interpréter de la manière la plus juste possible. Le principe voulant que ce qui n’est pas connu ne peut faire de tort ne s’applique pas dans le contexte des contaminants environnementaux. Depuis plusieurs années, des recherches continuelles visent donc à améliorer les dispositifs clés sur lesquels la biosurveillance repose, tels que l’échantillonnage, la précision des analyses en laboratoire ou encore l’interprétation des données. Des stratégies se basant sur des tests de toxicité en laboratoire ou sur le développement de modèles informatiques sont mises en place dans le but d’établir des liens plus précis entre les niveaux de contaminants dans l’organisme et l’apparition d’effets toxiques. Grâce à ces avancées, la biosurveillance pourrait, dans un futur proche, devenir accessible au public au même titre que les tests qui révèlent des contaminations virales ou bactériennes. Ceux qui le désirent pourraient alors vérifier leur niveau d’imprégnation à certaines substances chimiques et en connaître les effets toxiques. Cette approche pourrait ainsi devenir une composante indispensable pour les acteurs de la santé publique, mais également pour les citoyens comme Camille, afin que tous puissent établir un contact plus sain avec leur environnement.
— Sarah Faure, étudiante au programme de maîtrise en santé environnementale et santé au travail, option toxicologie à l'Université de Montréal