Traditionnellement, les experts fixent des objectifs de réduction : un pourcentage à atteindre telle ou telle année. Or, la recommandation qui se dégage de deux études-coup-de-poing parues dans la dernière édition de Nature , c’est qu’il faudrait plutôt calculer en fonction de la quantité totale de CO2 expédiée dans l’atmosphère hier, aujourd’hui, et demain.
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Parce que le CO2 reste plus longtemps là-haut qu’on ne l’avait jadis estimé. Et parce que ses impacts à long terme ont probablement été eux aussi sous-estimés. C’est pourquoi, résume le climatologue britannique Myles Allen, « nous devons limiter la quantité totale de carbone que nous injectons dans l’atmosphère, pas juste les émissions pendant une année donnée ».
L’avantage de cette approche, c’est qu’elle fournit deux chiffres faciles à retenir : 1000 milliards de tonnes de CO2, deux degrés Celsius. Ce que cela veut dire? Que si jamais on ne donne pas un coup de barre majeur dans les 50 prochaines années, une fois qu’on aura expédié là-haut 1000 milliards de tonnes de CO2, on aura contribué à hausser la température moyenne de deux degrés, par rapport à l’époque pré-industrielle (ou bien entre 1,3 et 3,9 degrés, avec la marge d’erreur, mais la plus haute probabilité est autour du chiffre deux).
Or, deux degrés (on a déjà gagné 0,7 degré depuis le XIXe siècle), c’est la ligne rouge au-delà de laquelle les climatologues ne répondent plus des bouleversements climatiques possibles.
« Il nous a fallu 250 ans pour brûler la première moitié des 1000 milliards », poursuit Myles Allen en référence au pétrole et au charbon. « Et si la tendance se maintient, nous brûlerons l’autre moitié en moins de 40 ans. »
Ce concept du « 1000 milliards de tonnes » est au coeur de la première des deux études parues dans Nature, et dirigée par ce Myles R. Allen, du département de physique à l’Université Oxford. Parmi ses co-signataires, l’Allemand Malte Meinshausen, de l’Institut de recherche sur le climat à Potsdam, est aussi le chercheur principal de la seconde étude. Celle-ci s’engage sur un terrain qui intéressera davantage les politiciens : on tente d’y calculer ce qui permettrait d’éviter (ou non) d’atteindre ce 1000 milliards de tonnes.
Il en ressort que le problème des objectifs traditionnels de réduction, ce n’est pas leur modestie, c’est leur lenteur : le G-8 a par exemple fixé comme objectif une réduction de moitié des gaz à effet de serre d’ici 2050, ce qui semble à première vue prometteur. Mais cela signifie, d’ici là, une énorme accumulation supplémentaire de CO2, trop énorme pour être sécuritaire, juge Meinshausen. « Seul un virage rapide pour nous écarter des carburants fossiles nous donnera une chance raisonnable d’éviter un réchauffement considérable. »
La BBC mentionne que ces études disent en d’autres mots ce que le GIEC et le Rapport Stern ont déjà dit : plus tôt on s’engagera dans des réductions, mieux ça vaudra.
Derrière ces deux études, il y a un débat plus large, qui se déroule surtout en coulisses, un débat selon lequel la communauté scientifique aurait sous-estimé les effets à long terme des gaz à effet de serre. Le plus visible des défenseurs de cette idée a été depuis deux ans le climatologue James Hansen : sachant que la quantité de CO2 dans l’atmosphère était de 275 parties par million (PPM) dans l’ère pré-industrielle, et qu’elle atteint aujourd’hui 387, quelle serait la limite de danger à ne pas dépasser?
Dans les années 1970 et 1980, climatologues et politiciens s’étaient entendus, arbitrairement, sur 550 PPM : juste parce que c’était le double du niveau d’avant la révolution industrielle.
Mais à mesure que s’accumulaient les données, on s’est mis à douter de la sagesse de ce seuil, et à la fin des années 1990, la limite à ne pas dépasser devint 450 PPM. Et puis, intervint Hansen qui, à partir de 2007, conclut que le seuil critique était plutôt de 350 PPM —donc, que nous l’aurions déjà dépassé, d’où l’urgence d’effectuer un virage. (pour en savoir plus : 350 : le chiffre le plus important du monde)
Les événements des deux dernières années ont donné du poids à ces craintes : les glaces de l’Arctique et du Groenland, sans parler du permafrost, semblent fondre plus vite que jamais.
« C’est plus difficile que les gens le réalisaient, écrit cette semaine Malte Meinshausen. Nous avons moins de marge de manoeuvre. » Ou pour le dire autrement : « Ce qui nous reste de budget d’émission est très maigre. »
Tout ceci peut sembler très décourageant, mais il y a un rayon d’espoir, explique au journaliste de Nature le climatologue canadien Andrew Weaver, de l’Université de Victoria (Colombie-Britannique). Dans ces nouvelles études, on dit que ce qui compte, c’est ce qui est expédié dans l’atmosphère, plutôt que le moment où il est expédié, ce qui ouvre la porte aux permis d’èmission. D’un point de vue politique, dit-il, l’idée d’un maximum d’émissions « est beaucoup plus facile à vendre » que celle d’un pourcentage de réduction comme objectif. « Un maximum, c’est comme un budget. Une fois que vous l’avez utilisé, il n’y a plus rien à dépenser. »