S’il y a longtemps que l’on sait que les multinationales du pétrole ont financé des organismes qui remettent en doute la science, la découverte d’un nouveau fonds d’archives vient d’en ajouter une couche : plusieurs de ces efforts ont spécifiquement ciblé des publics latino-américains, dans le but de rendre les populations du Sud moins enclines à soutenir les négociations internationales sur le climat.
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Les archives en question consistent en des centaines de documents des années 1990 et 2000, incluant des lettres et des courriels, des mémos, des résumés d’activités et des copies de chèques. L’ensemble jette un éclairage sur les nombreux échanges qui ont eu cours pendant ces années entre des hauts responsables de la multinationale pétrolière Exxon et le Réseau Atlas, une coalition internationale de plus de 500 groupes de réflexion de droite. Ces documents ont été obtenus par le média spécialisé DeSmog et le quotidien britannique The Guardian.
Le Réseau Atlas (Atlas Network, ou Fondation de recherche économique Atlas) est un groupe basé à Washington qui s’est donné pour mission de regrouper, et dans certains cas de soutenir, des groupes qui, dans divers pays, ont en commun de promouvoir des politiques de droite: ils défendent notamment le libre-échange et un État minimaliste. Ces groupes ont aussi eu en commun, depuis 30 ans, de s’opposer systématiquement à toute politique de réduction des gaz à effet de serre, voire à toute forme de réglementation pour la protection de l’environnement.
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Le financement de ces groupes a toujours été discret, mais au fil du temps, lorsque des reportages ont permis de lever le voile, il s’est souvent avéré qu'une grosse partie de l’argent provenait des géants du pétrole et du gaz.
On connaissait depuis le milieu du 20e siècle de tels groupes aux États-Unis: par exemple, le Competitive Enterprise Institute, l’Institut Heartland ou la Fondation Heritage —cette dernière étant derrière le Projet 2025, un document de 900 pages qui, en 2023, avait défini les contours de la première année de la future présidence Trump. Au Canada, selon une recherche publiée en 2024, l’Institut Fraser et l’Institut économique de Montréal ont fait partie des partenaires du Réseau Atlas.
La naissance de ce réseau, au milieu des années 1990, coïncide avec le moment où, lors des premières conférences annuelles des Nations unies sur le climat (COP), les négociations progressaient rapidement vers ce qui deviendrait le premier traité international de réduction des gaz à effet de serre de l’histoire, le Protocole de Kyoto (1997). C’est dans ce contexte que Exxon avait senti l’urgence de contribuer à semer le doute, dans les pays latino-américains, sur l’existence d’un consensus scientifique autour des changements climatiques.
Cela avait pris la forme, par exemple, de la traduction en espagnol d’un livre écrit par une vedette des mouvements climatosceptiques de l’époque, Fred Singer, des tournées de conférences de négationnistes du climat dans les métropoles d’Amérique du Sud et des efforts de relations publiques pour amener des médias locaux à interviewer ces « vedettes ». Un des objectifs, lit-on dans un des documents explicatifs du Réseau Atlas, était de convaincre les pays en voie de développement « des effets négatifs des traités globaux sur les changements climatiques ».
L’un des partenaires locaux, l’Instituto Liberal, au Brésil, a organisé et participé à des séminaires lors de la 4e COP, tenue en 1998 en Argentine. En septembre dernier, deux mois avant la COP30 qui a lieu cette année dans son pays, il a été derrière une conférence au Brésil d’un professionnel de longue date du déni climatique, le Danois Bjorn Lomborg: un des messages récurrents de ce dernier, depuis 30 ans, est que la lutte aux changements climatiques va « détruire la croissance économique ».
Dans un message du Réseau Atlas envoyé à son généreux donateur, et résumant ses activités en 1998, on pouvait lire que « peu de ces réalisations auraient été possibles sans la généreuse aide financière d’Exxon Corporation ».
La compagnie a toujours souligné qu’elle ne souhaitait pas être identifiée publiquement. Un mémorandum interne d’Atlas, résumant une réunion avec des administrateurs d’Exxon, explique que leur « approche a été volontairement de se tenir dans les coulisses ». Leur « objectif est d’aider, mais de ne pas être reconnu pour leur aide ».
« C’est une histoire très laide », commente dans DeSmog le chercheur Kert Davies, du Center for Climate Integrity, un organisme à but non lucratif qui étudie depuis longtemps les stratégies de déni d’Exxon. « En alimentant la confusion et le doute à propos des changements climatiques au sein des pays en voie de développement pendant des moments critiques, Exxon et le Réseau Atlas ont exacerbé les lignes de faille géopolitiques et augmenté des inquiétudes économiques, qui persistent à ce jour. »





