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Il arrive que des recherches soient très mal résumées par des médias. Mais en fin de semaine, la rapidité avec laquelle des journalistes et des blogueurs ont corrigé le tir à propos d’une recherche sur le cancer, a laissé dans l’ombre le fait que le terme erroné qui avait été initialement employé par des journalistes avait en fait été tiré... de la recherche elle-même.

 

Est-il possible que les deux tiers des cas de cancer soient causés par une simple malchance (bad luck), comme on a pu initialement le lire, vendredi et samedi, dans plusieurs médias? En d’autres termes, serait-il possible qu’on doive cesser de blâmer notre style de vie, la cigarette ou la pollution, et attribuer plutôt les deux tiers de nos cancers à la malchance d’un mauvais gène? Bien que ce ne soit pas vraiment ce que la recherche parue le 2 janvier dans Science ait conclu, il n’empêche que l’expression «bad luck» a bel et bien été tirée de cette recherche. Et le communiqué de presse de l’Université John Hopkins parle de cette «bad luck» dans des termes dont la subtilité aurait échappé au meilleur des lecteurs:

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Chez les adultes, les deux tiers des incidences de cancers à travers les tissus peuvent être expliqués avant tout par la «malchance».

 

L’étude, signée par l’oncologue Bert Vogelstein et le biostatisticien Cristian Tomasetti, compare 31 types de cancers. Plus précisément, ces chercheurs ont ciblé des tissus qui, dans notre corps, sont connus pour donner plus souvent naissance à des cancers. Ils ont donc cherché si, à partir des études déjà menées sur le sujet, on pouvait calculer une corrélation entre la vitesse à laquelle les cellules souches se divisent dans un type de tissu humain, et le taux de cancer dans ce même type de tissu.

Cette corrélation, ils l’ont trouvée : elle expliquerait le taux plus élevé de 22 des 31 types de cancers, soit «les deux tiers des variations d’un tissu à l’autre».

Le problème, comme l'ont rapidement corrigé journalistes et blogueurs, c’est que «les deux tiers des variations d’un tissu à l’autre» n’est pas la même chose que «les deux tiers des cancers». En d’autres termes, l’étude parle des taux de cancer dans différents types de tissus de notre corps, et non des taux de cancer dans la population.

Ceci dit, cette subtilité n’a pas échappé qu’aux premiers journalistes: elle a échappé aussi à la personne qui a rédigé le résumé sur le site de la revue Science:

 

Une analyse faisant le lien entre le nombre de divisions de cellules souches et différents types de cancers suggère que la plupart des cas de cancers ne peuvent pas être prévenus.

 

Et les chercheurs eux-mêmes se font à présent taper sur les doigts : leur tableau affichant la distribution des 31 types de cancers est divisé en deux couleurs, comme si leur étude avait démontré l’existence de deux groupes bien distincts de cancers (l’un dû au hasard, l’autre à d’autres causes). Or, leur étude, soulignent autant des blogueurs en statistique qu’en environnement ne montre aucunement une séparation à couper au couteau —puisqu’un cancer est le résultat de plusieurs facteurs.

Comme l'illustre le journaliste Jean-François Cliche, un organe a beau être davantage à risque qu’un autre d’avoir le cancer, si ce risque varie de 1 à 10%, ce n’est pas la même chose que s’il varie de 80 à 81%. «Cela n’enlève rien au fait que la cigarette multiplie par 15 à 30 le risque absolu de cancer du poumon, que l’abus d’alcool accroît le risque absolu de développer plusieurs types de cancer, et ainsi de suite.»

Refusant de blâmer les médias pour ce dérapage, le professeur en santé environnementale à l’Université du Michigan Andrew Maynard conclut dans son blogue:

 

Très clairement, il est important d’avoir du journalisme responsable à toutes les étapes de la chaîne de la communication. Mais de par la nature même de l’amplification, un soin doit être apporté à la source de l’histoire, afin de s’assurer que le reportage final soit à la fois exact et responsable.

 

 

 

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