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Le « syndrome de Pinocchio » ne figure ni dans le DSM ni dans aucune encyclopédie médicale. Lancée par le journaliste et bientôt sénateur André Pratte, la dénomination pour le « politicien menteur impénitent » a fait pourtant son bout de chemin. L’auteur a même été récemment questionné, pour lui-même, à ce sujet.

« Avez-vous impunément menti ? » Voilà une question que plusieurs Québécois brûlent de poser à l’ancienne ministre et vice-première ministre Nathalie Normandeau, accusée récemment de corruption, de fraude et d’abus de confiance. « Ce serait facile de l’accuser d’être une menteuse pathologique, mais elle ne ment pas plus que vous et moi. Il y a en effet souvent plus d’avantages à ne pas dire la vérité », avance le doctorant au département de psychologie de l’Université de Montréal, Julien Bureau.

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Tous menteurs

Démêler le vrai du faux prend un certain sens moral qui s’acquiert… autour de 5 ou 6 ans ! « C’est à cet âge que les enfants jouent à mentir et qu’ils savent ce qu’ils font », relève le psychologue Sébastien Bouchard, spécialiste du trouble de personnalité limite et professeur à l’Université de Sherbrooke. Un jeu d’enfant qui se transforme en une stratégie « lorsqu’elle présente plus d’avantages et sera privilégiée dans la vie adulte aussi », ajoute Julien Bureau.

Relatant les conclusions de sa récente étude, le jeune chercheur rappelle le rôle fondamental de la famille dans l’apprentissage de cette stratégie. « Mentir est un comportement intégré dès le très jeune âge. Lorsqu’un enfant avoue une mauvaise conduite et se fait punir souvent, il peut en effet être plus enclin à privilégier le mensonge au quotidien. »

Cependant, dans les faits, nous mentons tous, et à tout le monde selon les circonstances. Mais cela n’aurait rien de pathologique, rassure Sébastien Bouchard. En effet, nul besoin de se cacher les yeux, le mensonge appartient au fonctionnement interpersonnel normal, qu’il soit par omission ou par commission, lequel implique une version de fait inventée intentionnellement erronée ou tendancieuse.

Notre indulgence à pardonner penche toutefois pour les mensonges par omission ou par peur de faire souffrir. « Le mensonge par commission est souvent considéré plus grave en raison de ses conséquences sur le lien de confiance. Ce serait le type de mensonges que l’on retrouve le plus chez les politiciens en situation de pouvoir et de contrôle », explique le psychologue.

Dans sa Clinique des troubles relationnels de Québec, il rencontre même des patients qui, en plus de mentir à leurs proches, se mentent à eux-mêmes. Dans ces cas, l’autotromperie n’a rien à voir non plus avec le délire des schizophrènes. « Certains me mentent aussi. Doit-on faire du mensonge un trouble mental ? Je ne pense pas. Cela devient psychopathologique lorsque ce comportement est lié à une stratégie rigide et à de la souffrance, par peur d’être abandonné par exemple. »

Les motivations pour mentir seront différentes selon les personnalités — ou plutôt selon les troubles de personnalités (voir encadré) — et la capacité de refréner cet élan. La duperie, la manipulation et le mensonge pathologique sont cependant associés aux troubles de la personnalité des antisociaux, des narcissiques et aux personnalités psychopathiques.

Les politiciens, plus que les autres ?

Julien Bureau s’intéresse actuellement aux comportements déviants en milieu de travail et à l’autonomie des employés. Il a constaté que plus les employés sont autonomes, plus ils s’identifieront au travail qu’ils ont à faire. Cet engagement diminuera les déviances, tel le mensonge, mais pas pour toutes les professions.

Si l’atmosphère du milieu de travail est, par exemple, gangrénée par le mensonge, le fait de s’intégrer à la profession pourrait être suffisant pour être contaminé par cette manière de faire. « On y entend souvent : “c’est comme ça que ça fonctionne ici !” Il faut dire qu’en politique, les coûts des mensonges sont bas, il n’y a qu’à regarder les fausses allégations de Donald Trump qui ne choquent plus personne alors que la vérité peut être dommageable pour une carrière de politicien », avance le doctorant.

Le milieu politique pervertirait-il ? comme l’écrivait, il y a près de 20 ans, André Pratte. Beaucoup de politiciens souffriraient de troubles de la personnalité narcissique à la recherche d’admiration. « Lorsque vous écoutez les anciens politiciens, ils réfèrent souvent à des interprétations erronées et des zones d’ombres, mais jamais à des mensonges », relève Sébastien Bouchard. Des zones d’ombres où tous les coups semblent permis et qui bénéficieraient d’un bon ménage de printemps.

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