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Un des éléments les plus inquiétants du rapport spécial du GIEC sur les océans et les glaces — ce rapport qui fait grand bruit depuis sa sortie mercredi matin — est que la fonte du pergélisol dans l’Arctique pourrait à elle seule expédier plus de 1 400 milliards de tonnes de carbone de plus dans l’atmosphère d’ici 2100, soit le double de ce qui s’y trouve actuellement.

Mais le chiffre étant plus difficile à appréhender pour la majorité des gens, les médias ont davantage mis l’accent sur des chiffres qui sont moins abstraits : par exemple, lit-on dans ce rapport, le scénario du pire établit désormais la hausse du niveau des océans, d’ici 2100, à l’intérieur d’une échelle se situant entre 61 centimètres et 1,1 mètre (la barre supérieure est dans le cas d’un réchauffement qui atteindrait les 3 degrés). Ou encore, ce niveau des eaux plus élevé signifie davantage d’inondations pendant les tempêtes ou pendant les grandes marées : ainsi, des événements dont on estimait jadis qu’ils ne se produiraient qu’une fois par siècle dans certaines régions côtières des Tropiques, pourraient revenir plusieurs fois par décennie après 2050.

Première clef : le pouvoir des océans

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L’une des clefs du rapport pour comprendre tous ces chiffres est que les océans ont beau avoir absorbé le gros de la chaleur et une bonne partie du dioxyde de carbone (CO2) que nos activités ont expédiés dans l’air depuis un siècle — ce sont en effet les océans qui sont les véritables poumons de la planète, plutôt que l’Amazonie — ces océans ont leurs limites, et tout laisse croire que l’on approche de ces limites : la vitesse à laquelle les océans se réchauffent aurait doublé depuis le début des années 1990 et les vagues de chaleur perturbent d’ores et déjà les populations marines d’une façon que les biologistes — et les pêcheurs — en sont encore à essayer de décoder. Cela, en plus du fait que plus les océans absorbent du CO2, plus ils deviennent acides, ce qui menace la survie de certaines espèces de poissons, sans parler des coraux.

Les océans « ne peuvent pas continuer » avec cet apport de gaz à effet de serre d’origine humaine, résume aux journalistes depuis mardi soir le vice-directeur du GIEC, Ko Barrett, également directeur adjoint à l’agence américaine des océans et de l’atmosphère (NOAA).

Deuxième clef : il y a plus d’un scénario

L’autre clef pour comprendre tous ces chiffres réside dans le mot « incertitude ». Ce mot ne signifie pas que les scientifiques sont incertains quant aux impacts de l’activité humaine sur le climat. Il rappelle plutôt qu’un tel rapport du GIEC, comme toute projection sur l’avenir des climats, inclut toujours plus d’un scénario, et que chacun, du plus optimiste au plus pessimiste, est fonction de la vitesse à laquelle nous réduirons nos émissions de gaz à effet de serre.

Ainsi, les 60 centimètres de hausse du niveau des océans reflètent le scénario optimiste, celui où les principaux pays pollueurs respecteraient leurs cibles de l’Accord de Paris et réduiraient donc considérablement leurs émissions de gaz à effet de serre avant 2050. Même dans ce scénario toutefois, le CO2 accumulé continuerait de faire sentir ses effets pendant des décennies.

Quant au scénario pessimiste, à 1,1 mètre de hausse, il place la barre 10 centimètres plus haut que l’estimation la plus pessimiste du plus récent rapport régulier du GIEC, publié en 2013-2014. Cette différence vient d’une compréhension de plus en plus fine, depuis six ans, de la façon et de la vitesse à laquelle vont fondre les glaces de l’Antarctique.

Pour le géologue Richard Alley, de l’Université d’État de Pennsylvanie, cette nouvelle estimation est même « conservatrice », justement en raison de cette incertitude sur l’Antarctique, particulièrement la partie ouest de sa calotte glaciaire. Une fonte plus rapide que prévu pourrait obliger à revoir ces chiffres à la hausse. La hausse du niveau des océans, explique-t-il à la revue Nature, « pourrait être un petit peu moins, un petit peu plus, ou beaucoup plus » que ce que dit le nouveau rapport. « Mais elle ne sera pas beaucoup moins. »

Le cas du méthane

Quant au pergélisol, même une réduction de « seulement » le quart ou la moitié de sa surface d’ici 2100 ne devrait pas faire oublier que le gaz à effet de serre relâché serait le méthane, et non le CO2, et que le premier gaz reste plus longtemps présent dans l’atmosphère que le second.

Un rapport spécial

On appelle ce document « rapport spécial » du GIEC pour le distinguer des rapports réguliers, publiés tous les cinq à sept ans depuis les années 1990 (celui de 2013-2014 était le cinquième). Il s’agit du troisième et dernier rapport spécial depuis un an : le deuxième (paru en août) portait sur l’impact du réchauffement climatique sur notre utilisation des terres et le premier (paru en novembre 2018) consistait en une analyse comparative des impacts d’un réchauffement de un degré et demi par rapport à un réchauffement de deux degrés. Totalisant 800 pages, celui-ci a été rédigé par 102 chercheurs de 80 pays. Un « résumé pour les décideurs » de 42 pages qui, lui, devait être approuvé ligne par ligne par tous les pays membres, a également été publié mercredi matin.

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