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Les jeunes bélugas bénéficieraient de soins s’apparentant au gardiennage, tout comme les petits d’humains. Ces soins, désignés sous le terme « allomaternel », sont prodigués par des femelles qui ne sont pas leur mère et semblent veiller sur eux comme cette dernière le ferait.

« Nous avons observé chez les bélugas ces comportements très semblables aux nôtres. On dit souvent que cela prend un village pour élever un petit et cela pourrait bien s’appliquer aussi à ces mammifères marins », relève l’étudiante au doctorat au Département de sciences biologiques de l’Université de Windsor et auteure principale d’une récente étude, Jaclyn Aubin.

Pour son mémoire de maîtrise, la biologiste avait suivi ces drôles de paires à l’aide d’un drone, afin de filmer ce comportement encore peu connu des mammifères marins. Les bélugas (Delphinapterus leucas) ne seraient pourtant pas les seuls chez les odontocètes – les cétacés à dents, tels les orques – à avoir recours à des nounous: cela a été observé chez les dauphins et les cachalots.

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En 2017 et en 2018, la chercheuse a ainsi capté près de 1800 observations dans l’estuaire du Saint-Laurent. Perchée sur une plateforme construite à cette fin dans la Baie Sainte-Marguerite —à l’entrée du Fjord-du-Saguenay— elle a filmé les déplacements des jeunes bélugas accompagnés d’adultes. Ce comportement a été observé sur 17% des vidéos.

Observé également en captivité, ce « gardiennage » volontaire s’avère un mécanisme complexe. Ainsi, les « tantes » et autres femelles d’une parenté plus ou moins proche aideraient les petits à nager sur le flanc (nage en échelon) ou sous la queue – une position qui semble être protectrice car elle les dissimule des potentiels prédateurs.

« Les jeunes, s’ils savent nager à la naissance, ne nagent pas très bien et bénéficient même plus de l’accompagnement de ces femelles », soutient celle qui est également chercheuse au Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM).

La position privilégiée de nage en échelon est particulièrement énergivore pour l’adulte. Cela soulève donc de nombreuses questions sur les raisons poussant d’autres femelles à s’occuper de petits qui ne sont pas les leurs : est-ce par apprentissage de la maternité par de jeunes femelles, elles-mêmes des mères en devenir, ou est-ce simplement parce qu’ils sont trop « mignons » –une forme d’attirance naturelle pour les nourrissons, comme chez nous?

L’auteure, qui s’est interrogée sur ces raisons, a découvert que les adolescents manifestent peu d’intérêt pour cette activité, contrairement à des femelles plus âgées. De plus, peu importe le degré de « mignonnerie » du veau, il bénéficie à tout âge de ces soins alloparentaux.

Les bélugas peuvent vivre jusqu’à 60 ans mais n’atteignent la maturité sexuelle qu’entre 8 et 14 ans – les femelles sont plus précoces – et s’accouplent tous les 3 ans. La gestation dure 14 mois et les petits naissent entre juin et septembre. Ils vont rester avec les femelles et les juvéniles pendant les 10 premières années et les mâles rejoindront le groupe des adultes lors de leur maturité, tandis que les femelles resteront ensemble.

Les chercheurs penchent donc plutôt pour une explication alliant la parentalité élargie et le concept de réciprocité. Ce qui favoriserait la transmission des gènes et l’entraide, lorsque ces femelles deviennent à leur tour maman. « C‘est possible qu’il y ait de l’entraide et de la réciprocité, bien que ce soit difficile à tester. Ce que l’on sait, c’est qu’il y a une sociabilité inter-femelles et qu’il semble courant qu’une demi-sœur ou une tante veille sur un petit qui n’est pas le sien », explique Jaclyn Aubin.

Algues toxiques, dérangement lié au bruit sous-marin, contaminants, la population des bélugas de l’estuaire du Saint-Laurent s’amenuise et compte beaucoup de mortalité chez les femelles et chez les nouveau-nés depuis une vingtaine d’années. Elle est classée en voie de disparition et protégée en vertu de la Loi sur les espèces en péril.

Une question d’altruisme?

Dépenser des ressources pour prendre soin de descendants d’une autre femelle, « c’est quelque chose que l’on voit chez les primates, chez qui l’entraide est présente entre les individus. L’apprentissage de la parentalité chez les jeunes se retrouve aussi chez les manchots empereurs avec l’augmentation du succès reproducteur de ceux qui l’ont pratiqué », commente la professeure de biologie de l’Université de Sherbrooke, Fanie Pelletier. Elle ajoute qu’une préférence pour la parenté - sœur, tante, nièce, etc.- pour les soins aux petits, en dehors de la mère, se retrouve déjà chez certaines espèces, comme les surricates.

Elle souligne la force de l’étude qui apporte des informations intéressantes sur l’association entre les membres d’un groupe, pour faciliter l’apprentissage de la nage chez les petits. En lisant les quatre hypothèses détaillées dans l’étude, la spécialiste de l’écologie comportementale s’interroge toutefois sur la capacité des auteurs à distinguer la mère des autres adultes.

« C’est très difficile à observer, surtout que c’est plus le petit que l'adulte qui semble initier le comportement. Les soins parentaux et allomaternels forment des comportements très complexes à analyser et cela demande de cerner les liens clairs entre les différents individus. Sans compter la part de hasard, qui n’est jamais totalement absente - est-ce que le petit pourrait s’être trompé de mère? Cela se voit chez les canards qui suivent une autre fratrie », ajoute l’experte.

 

Photo: Groupe de bélugas dans le Saint-Laurent / GREMM

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