C’est gênant: les signataires d’une étude viennent d’apprendre que 60% des études qu’ils citaient dans leur bibliographie avaient été rétractées —c’est-à-dire retirées par les revues qui les avaient publiées.
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Ils sont le cas le plus extrême parmi ceux observés par un projet visant précisément à recenser des études dont les résultats méritent d’être remis en question. Le directeur du projet, le professeur à l’Institut de recherche en informatique de Toulouse, Guillaume Cabanac, a partagé cette semaine ses données avec les journalistes de la revue Nature et y a ajouté une analyse personnelle: on dispose aujourd’hui d’outils technologiques qu’on n’avait pas il y a 20 ans pour traquer ce type d’erreurs. Il serait d’autant plus important de les utiliser, écrit-il, que la « performance » d’un chercheur repose souvent en partie sur le nombre de fois qu’il a été cité, ce qui pousse à publier trop souvent et trop vite.
Des entrepreneurs peu scrupuleux ont créé « des usines à articles » (en anglais paper mills) pour profiter de ce système: ils vont publier de faux articles dans de fausses revues, mais avec une abondance de citations. Même des éditeurs sérieux en profitent, en publiant des articles qui ont peu de poids, mais qui émanent de chercheurs prolifiques, parce que le « facteur d’impact » de ceux-ci moussera celui de la revue.
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Historiquement, trois raisons expliquent les rétractations d’articles: le plagiat, une erreur méthodologique, et la fraude. Bien que cette dernière soit celle qui fasse le plus souvent parler d’elle, elle est la moins fréquente des trois.
Mais il n’en demeure pas moins qu’au final, cela donne 14 000 recherches rétractées l’an dernier (dont 8000 du même éditeur). Or, même si ces articles se retrouvent chaque fois chapeautés d’une notification —un avis de rétractation— rien ne garantit qu’une personne qui avait lu une de ces études quelques mois plus tôt et l’avait ajoutée à sa bibliographie, sera mise au courant.
Un des obstacles est que le volume de publications scientifiques est gigantesque : même ces 14 000 recherches ne représentent peut-être que 0,01% de tout ce qui se publie dans une année normale. Personne ne peut tout lire et tout vérifier. Mais personne n’a non plus le temps de retourner en arrière pour, avant de publier un nouvel article, en vérifier toutes les références.
Quant à la base de données analysée par Nature, elle permet néanmoins de pointer du doigt quelques fraudeurs « renommés »: au moins trois auteurs qui se retrouvent en haut de la liste de ceux qui ont cité le plus grand nombre d’articles rétractés, ont eux-mêmes vu plusieurs de leurs propres articles être rétractés, et ils font partie d’une liste restreinte de chercheurs qui, ces dernières années, ont été carrément accusés de fraudes.
L’aspect encourageant du phénomène est que les erreurs méthodologiques, tout comme les fraudes, sont devenues plus faciles à repérer dans la dernière décennie, avec la croissance du nombre d’experts qui agissent à titre de « chiens de garde », notamment sur des plateformes spécialisées comme PubPeer. Cela donne des discussions pointues, qui se rendent rarement jusqu’aux oreilles du public, sauf lorsqu’une vedette se retrouve dans la ligne de mire de ces chiens de garde. C’est ce qui est arrivé au microbiologiste français Didier Raoult, dont 19 recherches ont récemment été rétractées (en date du 30 août 2023) et plus de 200 font l'objet d'un avertissement (en anglais, expression of concern).