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La discussion sur les risques d'augmentation de la concentration des gaz à effet de serre dans l'atmosphère est omniprésente. Cette préoccupation semble désormais imprégner tous nos choix, des plus décisifs, comme le vote des représentants politiques, aux plus élémentaires, comme le choix d'un produit lors de notre épicerie. Si les choix individuels jouent un rôle majeur dans la lutte contre les effets du changement climatique, il ne faut pas oublier le rôle important que les secteurs industriels ont à jouer.

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Par Marcella Ruschi Mendes Saade, stagiaire postdoctorale au LIRIDE

Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) a proposé, dans son dernier rapport de 2018, des mesures d'atténuation pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C jusqu'en 2050. Bien que de nombreux secteurs industriels aient été visés, la construction de bâtiments et d'infrastructures n'a pas été mise en avant comme une activité ayant un grand potentiel de réduction du carbone. Le problème de cette non-prise en considération est que - si nous parvenons à éviter les catastrophes à l'échelle mondiale dues à l'instabilité climatique - la population mondiale devrait atteindre plus de 9 milliards de personnes en 2050. Avec cette augmentation démographique, la demande d'urbanisation va donc s'accroître et nous devrons alors construire un nombre important de logements urbains, ainsi que les infrastructures les accompagnant, et nous devrons le faire rapidement. Mais comment pouvons-nous créer ces espaces, avec des quantités massives de matériaux de construction différents, le tout sans aggraver le problème des émissions de gaz à effet de serre ?

Les chercheurs répondent de plus en plus à cette question en proposant, par exemple, l'utilisation de matériaux biosourcés. Définis comme des produits constitués d'une substance dérivée de la "matière vivante" (c'est-à-dire la biomasse), ces matériaux sont populaires auprès des chercheurs en construction. Représentés dans le secteur de la construction, notamment par les produits en bois et en résidus agricoles, ils absorbent le CO2 pendant leur croissance, et malgré certains enjeux, ils sont préconisés pour le stockage du carbone. Étant donné la longue durée de vie des bâtiments et des infrastructures, l'utilisation de matériaux biosourcés dans leur construction est une opportunité de stockage à long terme. Il existe encore beaucoup d'incertitudes quant à la quantité de carbone pouvant être stocké, la manière de comptabiliser les émissions générées en fin de vie, et la quantité que ces dernières représentent par rapport à ce qui a été absorbé lors de la croissance des arbres, mais les spécialistes soulignent - avec raison - que les produits en bois ont un avantage. On pourrait donc se poser les questions de savoir si on devrait tout construire en bois ? Et qu’arriverait-il aux autres matériaux de construction comme le béton ?

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Le béton a des performances remarquables en matière de durabilité, de résistance et de polyvalence, une combinaison de qualités très attrayante pour la construction. Pourtant, l'intensité en carbone du béton est tout aussi remarquable. Les experts en analyse du cycle de vie (ACV) se sont donc de plus en plus concentrés sur la contribution du ciment et du béton aux changements climatiques, s'efforçant généralement de minimiser la quantité importante d'émissions de CO2 générées. Cependant, le processus inversé - la carbonatation des structures en béton, où elles réagissent lentement avec le CO2 atmosphérique pour produire du CaCO3 - est rarement pris en compte dans les ACV. En fait, la carbonatation n'est couramment étudiée et prise en compte que dans les études de durabilité des structures en béton armé, car l'absorption de CO2 peut être un catalyseur de la corrosion de l'acier. Donc, s'il s'agit d'un phénomène bien connu et indéniable, et puisque le CO2 absorbé est capté de façon permanente, pourquoi, tout comme son homologue "biosourcé", le béton n'est-il pas présenté comme un puits de carbone potentiel ?

En fait, la réponse est double : les chercheurs ont tendance à écarter le phénomène (i) car il est supposé négligeable et (ii) en raison d'une grande incertitude liée à la quantité réelle de CO2 pouvant être absorbé, qui dépend de nombreux facteurs (température, humidité et composition du béton). Des travaux récents remettent en cause le premier argument (i) : >alors que l'absorption pendant la durée de vie des structures en béton est faible, après son broyage, une grande quantité de carbone pourrait être absorbée, principalement en raison de l'exposition accrue de la surface du béton (voir figure 1). En fonction de la taille de ces "morceaux" de béton concassés et de leur exposition, ils peuvent être entièrement carbonatés en quelques mois et il est estimé que l’équivalent des émissions de CO2 générées lors de la combustion du CaCO3 (c.-à-d. le calcaire) pour la fabrication du ciment aura été absorbé de manière permanente. Toutefois, il est important de mentionner que le temps nécessaire pour absorber naturellement tout le CO2 n'est pas court et une telle émission ponctuelle signifie bien plus pour notre atmosphère déjà réchauffée que de petites augmentations annuelles. Cela étant dit, l'argument numéro (ii) est incontestable : le phénomène de carbonatation est incroyablement variable et complexe à prévoir avec précision.

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Figure 1: Balance du CO2 sur le cycle de vie d’un bâtiment en béton (inspiré de Dodoo et al. 2009)

Il est incontestable que l'intensité carbone du béton est, dans presque tous les cas, plus élevée que celle du bois ou d'autres matériaux biosourcés. Mais il semble important également de mentionner qu'il existe des situations dans lesquelles le bois ne peut remplacer le béton. Les grands ponts, les tunnels, les fondations et autres infrastructures civiles, en général, dépendent encore du matériau à base de ciment. Avec l'augmentation de la demande dans les zones urbanisées liée à l'accroissement de la population dans des villes déjà denses, nous aurons encore plus besoin d'infrastructures importantes, solides et durables - qui ne peuvent être fournies sans de grandes quantités de béton. Si nous combinons la mise en œuvre de mesures visant à réduire l'empreinte carbone du béton au stade de la fabrication avec des mesures visant à augmenter l'absorption de CO2 en fin de vie, nous avons de bonnes chances d'atteindre les objectifs fixés pour limiter le réchauffement climatique. Également, si nous augmentons l'utilisation du bois et d'autres matériaux biosourcés là où cela est structurellement possible, nous pourrions même atteindre l’objectif d'une augmentation maximale de 1,5°C.

La course contre les changements climatiques doit être disputée conjointement par tous les secteurs. Il n'existe pas de solution unique ou de matériau parfait qui puisse changer la donne. Les matériaux ont des caractéristiques différentes qui peuvent être exploitées dans le sens d’un même objectif. Gardons à l’esprit qu’en fin de compte, le seul "ennemi" est le changement climatique et ses effets dévastateurs.

Marcella Ruschi Mendes Saade, stagiaire postdoctorale au LIRIDE (Université de Sherbrooke)

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