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L’effet de lentille gravitationnelle, un phénomène qui agit comme une loupe spatiale géante, donne des informations sur les composants de l’Univers, son passé et son expansion. Au cours des 10 prochaines années, la nouvelle génération de télescopes en fournira des centaines de milliers d’observations. Les cosmologistes comptent sur ces données pour éclaircir certains des mystères de l’Univers.

Depuis sa publication, le 11 juillet 2022, l’image ci-dessous (voir la figure 1) impressionne par sa beauté, par l’exploit technique qu’elle incarne et par son dévoilement de la plus profonde partie de l’Univers observée jusqu’à présent[1]. Pourtant, un autre aspect devrait attirer l’attention : la présence d’arcs lumineux et de galaxies aux formes allongées. Ces éléments indiquent un effet de lentille gravitationnelle, un phénomène qui pourrait répondre aux questions les plus pressantes au sujet de l’Univers.

 

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L’amas de galaxies SMACS 0723 capté par le télescope spatial James Webb
Sources : NASA, ESA, CSA, STScI[2]
 

Cette image, captée par le télescope spatial James Webb (JWST), présente les galaxies de l’amas SMACS 0723, liées par gravitation *, ainsi que d’autres galaxies en avant-plan et en arrière-plan[3].

L’effet de lentille gravitationnelle se produit lorsque la lumière d’une galaxie d’arrière-plan traverse le champ gravitationnel * de l’amas. Ce dernier dévie la lumière le long d’une courbe. Le télescope détecte donc une image allongée ou courbée de la galaxie d’arrière-plan[4]. C’est un peu comme regarder une chandelle à travers le pied d’une coupe à vin. La lumière de la flamme épouse la forme du verre, et des arcs lumineux apparaissent, comme la lumière de la galaxie dévie selon la forme du champ gravitationnel.
 

Schéma d’un effet de lentille gravitationnelle
Source : Ève Campeau-Poirier
 

Exposer l’invisible

L’effet de lentille gravitationnelle de SMACS 0723 ne peut pas s’expliquer seulement par la matière visible, comme les étoiles, les nuages de poussière et les planètes. La puissance de l’effet requiert une gravitation beaucoup plus importante que celle générée par ces éléments. La partie manquante provient du principal composant des amas de galaxies, c’est-à-dire la matière sombre *[5].

Cette dernière n’émet pas de lumière, n’en reflète pas et n’en absorbe pas. Elle échappe donc à toute détection par télescope. Son existence se révèle plutôt par ses effets gravitationnels, comme celui de lentille. Grâce à ces effets, les scientifiques ont déterminé, à la fin des années 2000, que la matière sombre constitue 83 % de toute la matière dans l’Univers[6]. En revanche, sa véritable nature leur échappe. La matière visible se divise en protons, en électrons et en neutrons, des particules dont les propriétés et les interactions sont bien documentées. Les équivalents pour la matière sombre restent inconnus. Les hypothèses sur ses constituants couvrent toutes les échelles, des particules microscopiques aux gigantesques trous noirs[7].

L’effet de lentille gravitationnelle demeure l’un des rares moyens de sonder cette substance intrigante. Il témoigne entre autres de sa répartition dans l’amas de galaxies, laquelle dépend de la masse de ses composants. Par exemple, si la matière sombre est éparpillée dans l’amas, cela signifie que sa masse est faible. Autrement, sa masse générerait une puissante gravitation qui la concentrerait au centre de l’amas[8]. L’effet de lentille gravitationnelle fournit donc de précieux indices sur cette matière énigmatique qui domine l’Univers. 

Observer le passé

L’une des missions du télescope spatial James-Webb a pour objectif d’étudier les toutes premières galaxies. Celles-ci ont eu un impact significatif sur l’évolution de l’Univers en produisant et en répandant les éléments chimiques qui composent aujourd’hui les étoiles, les planètes et les êtres vivants. Toutefois, les mécanismes impliqués dans cette production restent incompris. Par ailleurs, le processus de formation de ces galaxies demeure aussi une question ouverte[9].

Les premières galaxies sont aussi les plus lointaines, ce qui complique cette mission. Effectivement, puisque la vitesse de la lumière est toujours la même, plus une galaxie est éloignée, plus sa lumière prend du temps à atteindre la Terre et plus l’image est ancienne lorsqu’elle est détectée. Or, les galaxies lointaines représentent des cibles de petite taille et de faible luminosité[10].

Bien que le JWST soit conçu pour relever ce défi, il bénéficie tout de même de l’aide de l’effet de lentille gravitationnelle. Celui-ci, en plus de déformer les images, les grossit et intensifie leur luminosité[11]. Dans le cas de la photographie de SMACS 0723, l’effet de lentille gravitationnelle a décuplé la résolution des images des galaxies d’arrière-plan, offrant un niveau de détail inégalé. De plus, il permet de distinguer des galaxies qui se trouvent bien au-delà de l’amas. Certaines apparaissent jusqu’à 13,1 milliards d’années plus jeunes que leur âge actuel[12]. En guise de comparaison, l’Univers compte environ 13,8 milliards d’années[13]. L’effet de lentille gravitationnelle s’avère donc un allié inestimable pour le télescope James-Webb afin d’accomplir sa mission.

Résoudre un conflit

Lorsque des muffins aux bleuets cuisent, la pâte gonfle, ce qui éloigne les bleuets les uns des autres. L’Univers se compare à la pâte et les galaxies, aux bleuets. Ainsi, toutes les galaxies s’éloignent les unes des autres. Pourtant, elles ne se déplacent pas : c’est plutôt l’espace entre elles qui s’étire. C’est à cet étirement que réfère l’expression expansion de l’Univers.

Le taux auquel l’Univers prend de l’expansion fait actuellement l’objet d’une controverse : deux méthodes pour le mesurer obtiennent deux résultats différents. Une des deux méthodes doit donc indiquer une mauvaise valeur. L’une d’elles s’appuie directement sur les équations acceptées à l’heure actuelle pour décrire l’Univers. Si elle s’avérait erronée, cela sèmerait le doute sur plusieurs acquis de la cosmologie[14].

L’effet de lentille gravitationnelle pourrait départager ce désaccord. Il dévie la lumière en fonction de la distance qu’elle parcourt. Le taux d’expansion de l’Univers allongeant constamment l’espace, il affecte directement cette distance. La durée du voyage de la lumière se convertit aisément en distance, puisque sa vitesse est toujours la même. La distance du trajet se déduit donc en chronométrant le trajet de la lumière. Puis, en analysant l’image déformée, les spécialistes isolent la contribution du taux d’expansion de l’Univers et évaluent la valeur de ce dernier. L’effet de lentille gravitationnelle pourrait ainsi valider l’une des mesures du taux d’expansion de l’Univers[15].

 

La photographie de l’amas SMACS 0723 ne montre donc pas seulement la plus profonde partie de l’Univers observée jusqu’à maintenant. Elle dévoile l’invisible matière sombre. Elle affiche le passé, grossi à la loupe. Une image semblable pourrait clore le débat sur le taux d’expansion de l’Univers. Tout cela grâce à l’effet de lentille gravitationnelle. Bien que ce phénomène soit un excellent outil pour étudier l’Univers, de nombreux défis techniques subsistent afin d’extraire toute l’information qu’il recèle[16]. Si les cosmologistes réussissent à exploiter tout le potentiel de l’effet de lentille gravitationnelle, il pourrait bien être la clé pour déverrouiller les derniers secrets de l’Univers.

 

— Un article de Ève Campeau-Poirier, étudiante au programme de maîtrise en physique à l'Université de Montréal

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