L’influence des antivaccins au sein des différentes agences de santé des États-Unis vient de franchir une nouvelle étape : renversant des décennies de données probantes, le site du Centre de contrôle des maladies (CDC) a soudain modifié sa page web sur les vaccins, le 19 novembre, pour y affirmer qu’un lien entre vaccin et autisme « ne peut pas être écarté ».
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La page affirme désormais que « les études soutenant un lien ont été ignorées par les autorités de la santé ». Mais elle ne dit pas que ces études ont été analysées avant d’être écartées: elles étaient soit d’une qualité douteuse, soit carrément frauduleuses.
« Depuis 1998 », a rapidement réagi la présidente de l’Académie américaine des pédiatres, Susan J. Kressly, « des chercheurs indépendants dans sept pays ont mené plus de 40 études de qualité élevée impliquant plus de 5,6 millions de personnes. Leur conclusion est claire et sans ambiguïté: il n’y a aucun lien entre vaccin et autisme. »
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En comparaison, les études qui prétendent qu'un tel lien existe et qui auraient soi-disant été ignorées souffrent de méthodologies fautives… ou proviennent du même petit groupe de personnes. Ainsi, selon une compilation publiée par le New York Times en août dernier, depuis 1998 —année de publication de l’article frauduleux du Britannique Andrew Wakefield— sur les 26 études qui ont prétendu avoir trouvé un tel lien, 18 provenaient de David Geier et son père Mark : il s’agit de deux auteurs qui ont pris l’habitude de citer des « études »… qui sont leurs propres textes. Ils ont déjà justifié leur décision de ne pas avoir tenu compte des dizaines d’études de haute qualité, en alléguant que celles-ci avaient fait l’objet de sévères critiques… sauf que toutes les critiques qu’ils citent ont été écrites par eux-mêmes.
Le lien discrédité entre vaccin et autisme a par ailleurs été régulièrement défendu par l’actuel ministre de la Santé, Robert F. Kennedy Jr (RFK), duquel dépend le CDC. Et de fait, dans une entrevue avec le New York Times publiée le 21 novembre, RFK a admis qu'il était responsable de la modification sur le site du CDC. Tout en admettant pourtant que les études sur le vaccin rougeole-rubéole-oreillons n'avaient trouvé aucun lien avec l'autisme, et tout en admettant que les études sur le thimérosal, agent de conservation de certains vaccins, n'avaient trouvé aucun lien non plus avec l'autisme.
David Geier, qui est un ami de longue date de RFK, et qui avait été sanctionné en 2011 par l’État du Maryland pour avoir pratiqué la médecine sans permis, a été embauché en mars dernier par RFK pour présumément étudier les données sur les vaccins et l’autisme.
La nouvelle prise de position du CDC est que « l’affirmation ‘les vaccins ne causent pas l’autisme’ n’est pas basée sur des preuves ». À cela, la Fondation Science de l’autisme a répliqué le même jour que « la nouvelle déclaration montre un manque de compréhension du mot « preuve ». Aucun facteur environnemental n’a été mieux étudié comme cause potentielle de l’autisme que les vaccins. »
C’est une déclaration qui est conçue pour créer de la confusion, a également réagi le Dr Paul Offit, pédiatre et directeur du Centre d’éducation sur les vaccins à l’Hôpital pour enfants de Philadelphie. « Mauvaises représentation des études, fausse équivalence. Ils pourraient tout aussi bien dire que les croquettes de poulet peuvent causer l’autisme, parce que vous ne pouvez pas le prouver non plus. »
La radio publique américaine, NPR, cite deux actuels employés du CDC qui ont refusé d’être nommés et pour qui, avec cette modification, l’information sur les vaccins affichée sur le site du CDC « n’est plus crédible ».
Un tel changement de politique inquiète les experts en santé publique qui observent ces dernières années une lente diminution des taux de vaccination infantile: plus les craintes d’un risque qui n’existe pas sont défendues au plus haut niveau, et plus nombreux seront les parents qui croiront que leurs peurs sont légitimes. « Répandre cette désinformation créera sans raison des peurs chez des parents de jeunes enfants qui peuvent ne pas être au courant que des montagnes de données exonèrent les vaccins comme cause de l’autisme », a renchéri la présidente de la Fondation Science de l’autisme.
Coïncidence, ce changement de politique intervient 10 jours à peine après que le Canada ait officiellement perdu son statut de « pays ayant éliminé la rougeole »: il fait face, pour la première fois en 27 ans, à une éclosion de rougeole qui vient de passer le cap d’une année complète. Et il est fort possible que les États-Unis perdent à leur tour ce statut en janvier, puisqu’ils vivent eux aussi une éclosion de rougeole en continu depuis maintenant près d’un an. Dans les deux cas, ces éclosions ont commencé dans des communautés où le taux de vaccination est extrêmement bas. Et chez les enfants, les cas les plus graves, soit ceux qui ont conduit à des hospitalisations, sont systématiquement chez des enfants non vaccinés.
Selon des informations qui ont circulé ces derniers mois, le comité de travail du CDC sur les vaccins —celui dont RFK avait mis à pied tous les experts le printemps dernier pour les remplacer par des non-experts— envisagerait de modifier le calendrier de vaccination infantile et de retarder le vaccin offert systématiquement aux bébés contre l’hépatite B.
Ce texte a été mis à jour le 21 novembre avec la mention de l'entrevue de RFK avec le New York Times le 21 novembre.




