Écran de téléphone avec application Twitter

Qu’est-ce qui distingue les gens qui, sur Twitter, défendent le consensus scientifique sur les changements climatiques, des gens qui nient les changements climatiques? Alors que les premiers interviennent le plus souvent dans leur champ d’expertise, les seconds sont souvent des gens « qui s’expriment sur une multitude de sujets », sans égard pour les faits.


Ce texte fait partie de notre série sur Les coulisses de la désinformation en science


 

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Pour une recherche parue le 13 février sur le site du Climatoscope —« observatoire des débats numériques sur le climat »— quatre chercheurs français ont analysé —avec l’aide de l’intelligence artificielle— des dizaines de millions de tweets publiés depuis 2016 et consacrés au climat. En plus du fait que les « dénialistes » —ceux qui font du déni— s’imaginent plus polyvalents qu’ils ne le sont vraiment, les chercheurs posent un autre constat: un petit « noyau dur de comptes » est derrière « la majorité des narratifs » qui circulent dans la sphère des fausses nouvelles. « Ils compensent le fait d’être minoritaires par une forte présence en ligne », explique sur le site du CNRS l’auteur principal, le mathématicien David Chavalarias.

Et ils se contredisent eux-mêmes. Un même compte peut dire un jour que les changements climatiques n’existent pas et le jour suivant, qu’ils existent mais qu’on ne peut rien y faire.

La proportion de ces comptes « dénialistes » a augmenté sur Twitter depuis 2019. Et l’augmentation en français est particulièrement forte depuis 2021. Parmi leurs sujets de prédilection, on retrouve certaines des affirmations traditionnelles dont eux seuls croient qu'elles révèlent quelque chose (le CO2 est « de la nourriture pour les plantes », par exemple) ou des affirmations qui sont fausses et ont été réfutées depuis longtemps.

Ces comptes ont beau être déconnectés de la réalité scientifique, les moments où le nombre de messages augmente sont liés à des événements dans l’actualité, comme la dernière conférence annuelle des Nations unies sur le climat. Mais pas nécessairement l'actualité du climat: on remarque ainsi une accélération de l’augmentation des messages au moment de l’invasion de l’Ukraine.

L’étude pointe aussi un compte qui, bien qu’anonyme, serait le plus important influenceur de la communauté dénialiste française, dont l’activité est révélatrice. Pendant les derniers mois de 2021, il publiait en moyenne 5 messages par jour en opposition aux vaccins; entre janvier et juin 2022, il s'est mis à publier chaque jour un ou des messages pro-Russie; à partir de juin 2022, il s’est mis à publier entre 5 et 15 messages par jour hostiles à la science du climat.

Il n’est pas le seul à avoir ainsi butiné. Selon cette analyse, parmi les milliers de comptes Twitter composant la « communauté » française niant le réchauffement climatique, au moins 1400 ont participé à « de nombreuses campagnes « antisystème » opportunistes », de la polémique autour du variant Omicron à la crise sociale en Guadeloupe (été 2021) en passant par le relais de la propagande du Kremlin contre les sanctions imposées à la Russie en 2022. C’est d’ailleurs sur ce dernier sujet qu’on trouve la plus forte corrélation, autrement dit le plus grand nombre de comptes Twitter qui traitent indifféremment des deux sujets, le climat et l'invasion de l'Ukraine. Un certain nombre sont probablement des bots.

Il faut rappeler qu’une partie indéterminée de ces comptes est bel et bien gérée par la Russie. On connaît depuis 2013 l’existence de l’Internet Research Agency, une « usine à trolls » créée par Evgueni Prigojin —le même qui dirige le groupe Wagner, cette société militaire privée dont on entend beaucoup parler sur le front ukrainien. Et comme des journalistes et des chercheurs l’ont révélé depuis une décennie, le but de ces trolls n’est pas de convaincre les internautes de la grandeur de la Russie, mais de créer un chaos informationnel: inonder les réseaux sociaux de fausses rumeurs qui peuvent amplifier les divisions dans les autres pays ou accroître la méfiance dans les institutions, incluant la légitimité des élections. La pandémie a été, à cette fin, un terreau fertile au chaos informationnel, et les débats sur la sortie du pétrole semblent en voie d’en devenir un autre.

Un discours toxique

« C'est aussi une communauté qui développe un discours toxique », commente la climatologue Valérie Masson-Delmotte. Et si on le sait, c’est parce que l’analyse de cet immense corpus a été faite avec l’aide de l’intelligence artificielle, qui a pu repérer non seulement les propos associés au rejet de la science du climat, mais aussi les insultes et l’intimidation dont ont été l’objet de nombreux scientifiques.

Cette analyse du langage permet aussi de repérer plus facilement les stratégies, puisque celles-ci n’ont pas changé depuis des décennies. Comme la stratégie du doute (« des scientifiques disent que la Terre se réchauffe, d’autres disent que non, donc, doutons »). Ou comme quatre autres « stratégies en D »: discréditer l’expertise, déformer les propos, dissuader la prise de position, et utiliser la distraction.

Il faut noter que cette recherche pourrait ne pas avoir de suites. Elle a été possible en raison d’une particularité de Twitter: la compagnie mettait à la disposition du public une partie de ses données. Toutefois, à travers les bouleversements qui ont accompagné l’arrivée d’Elon Musk, il a été évoqué que les chercheurs pourraient perdre cet accès aux données de Twitter.

 

Photo: Artem Podrez / Unsplash

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