
Les théories du complot occupent une grande place dans la couverture médiatique du phénomène des fausses nouvelles. La pandémie semble avoir été pour elles un terreau particulièrement fertile. Qu’en est-il vraiment? Le Détecteur de rumeurs s’est demandé si nous vivions réellement l’âge d’or des conspirationnistes.
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Les origines
Dans un texte publié en 2023 sur le site The Conversation, Magda Osman, professeure à l’Université de Cambridge s’intéressant aux théories du complot, observait que la croyance populaire veut que le conspirationnisme soit en augmentation depuis quelques années. Un sondage réalisé aux États-Unis en 2021 révélait même que 73 % des Américains pensent que ces théories sont maintenant hors de contrôle.
Plusieurs articles journalistiques publiés pendant la pandémie (par exemple, ici et ici) ont souligné que celle-ci aurait contribué à la « prolifération de la pensée complotiste ». Dans un article du Devoir paru en août 2020, au plus fort de la crise sanitaire, on apprenait que « pas moins de 38,6 % des Canadiens croyaient que le gouvernement leur dissimulait des informations importantes au sujet du coronavirus ».
Un phénomène qui semble stable
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En 2014, deux professeurs de l’Université de Miami avaient analysé plus de 100 000 lettres ouvertes écrites par des citoyens américains et publiées dans le New York Times et le Chicago Tribune de 1890 à 2010. Ils avaient constaté que les références à des théories du complot n’étaient pas devenues plus fréquentes avec le temps. Ils avaient noté seulement deux époques où la pensée conspirationniste semblait plus importante : les débuts de la Révolution industrielle (un peu avant 1900) et les débuts de la guerre froide (1940-1950).
Plus récemment, quelques études ont mesuré la proportion de gens croyant à des théories du complot à différents moments. L’une d’elles, publiée en 2022, s’est intéressée à des sondages effectués aux États-Unis entre 1966 et 2021: elle a révélé que sur 37 théories examinées, seulement 6 avaient vu leur popularité augmenter. Pour la plupart des théories, l’adhésion avait plutôt tendance à diminuer avec le temps.
Les auteurs de la recherche soulignaient toutefois que le niveau moyen d’acceptation restait préoccupant à toutes les époques. Par exemple, en 2020, plus du tiers des répondants pensaient qu’il existait un groupe secret de personnes contrôlant le monde entier.
En 2022, des chercheurs italiens qui avaient mesuré la croyance aux théories du complot sur une période de quatre ans (jusqu’à la fin de 2020, donc couvrant les débuts de la pandémie) avaient aussi observé une baisse significative. Une étude publiée en 2024 par des scientifiques australiens et néo-zélandais va dans le même sens.
Un phénomène aux racines anciennes
Qui plus est, dans un article publié en 2017 et portant sur les théories du complot et leur place dans l’Histoire, un chercheur des Pays-Bas rappelait que la tendance à imaginer des conspirations semble faire partie de la nature humaine.
Il donnait l’exemple du grand incendie de Rome en l’an 64, dont l’origine a d’abord été faussement attribuée à l’empereur Néron. En réponse à ces accusations, celui-ci aurait propagé sa propre théorie selon laquelle les chrétiens étaient les vrais responsables.
Au Moyen Âge, ajoutait l’auteur néerlandais, la communauté juive a été souvent blâmée en Europe, depuis l’échec des croisades jusqu’aux épidémies de peste.
Plus près de nous, des experts ont remarqué à quel point les théories du complot et les fausses nouvelles autour de la vaccination anti-COVID avaient beaucoup en commun avec les théories du complot autour des premières campagnes de vaccination, il y a un siècle.
Un phénomène qui a déjà été socialement acceptable
Dans un texte de 2020 où il s’intéressait au conspirationnisme dans l’histoire des États-Unis, Michael Butter, professeur d’études américaines à l’Université de Tübingen en Allemagne, expliquait qu’avant la Deuxième Guerre mondiale, certaines théories complotistes étaient non seulement acceptées, mais considérées comme légitimes.
Au point où certaines auraient eu une influence importante sur plusieurs événements clés de l’Histoire américaine, ajoutait Butter. Par exemple, à partir de 1750, les théories du complot auraient été un déclencheur de la guerre d’Indépendance et la peur d’une conspiration serait demeurée répandue après la naissance du pays. En 1790, le parti fédéraliste accusait le parti démocrate républicain de s’être ligué avec des « Illuminati européens ». Les démocrates républicains, de leur côté, prétendaient que les fédéralistes complotaient avec la Grande-Bretagne pour rétablir la monarchie.
Au 19e siècle, les élites craignaient une conspiration catholique dirigée par les monarchies européennes pour détruire leur jeune pays, poursuivait Michael Butter. En 1830, les habitants du Sud des États-Unis croyaient que l’abolition de l’esclavage était un plan britannique secret pour affaiblir l’économie américaine.
Enfin dans les années 1950, la majorité de la population croyait que les communistes avaient infiltré toute la société, remarquait Butter. Cette croyance était très peu remise en question, favorisant la célèbre « chasse aux sorcières » engagée par le sénateur McCarthy (1953-54).
Un phénomène amplifié par les réseaux sociaux?
Selon Michael Butter, c’est seulement dans la deuxième moitié du 20e siècle que les théories du complot disparaissent de la sphère publique pour devenir un mouvement marginal. On reconnaît alors le danger que ce phénomène représente pour la démocratie. Cependant, l’avènement de l’Internet a permis dans une certaine mesure aux conspirationnistes de sortir de la marginalité et de mieux diffuser leurs théories.
Toutefois, même si le résultat est que les théories du complot circulent peut-être davantage en 2025 que dans les années 1980, elles resteraient moins répandues qu’il y a 100 ans, concluait Michael Butter dans son analyse. Dans leur étude réalisée en 2014, les scientifiques américains cités plus haut notaient même que les conspirations en ligne ne persuaderaient pas de nouveaux adeptes, mais renforceraient les convictions des adhérents.
Pour en savoir plus sur l’influence des réseaux sociaux, en particulier sur les jeunes,
consultez notre deuxième texte.
En fait, la perception du conspirationnisme est aujourd’hui complètement différente. Alors qu’avant, on s’inquiétait des complots, aujourd’hui, on se préoccupe des théories conspirationnistes, expliquait Michel Butter. On en parlerait donc beaucoup, mais peu y adhèreraient, selon lui.
Verdict
Même si la proportion de gens croyant à des théories du complot a toujours été préoccupante, il est difficile de démontrer que cette proportion est actuellement en augmentation.