Il faudrait écrire 2002-2020 dans le titre, parce que c’est une évolution qui est loin d’être terminée. Et qui plonge ses racines bien avant le XXIe siècle. Mais c’est au cours des dernières années que, prise de conscience aidant, des journalistes, des auteurs de livres, et à présent des blogueurs, ont bien dû admettre que la science, hélas, n’était pas toujours blanche comme neige.

Une des racines s’appelle Jesse Gelsinger. Au milieu des années 1990, l’Institut de thérapie génique de l’Université de Pennsylvanie était l’un des meneurs d’une course mondiale visant à développer des applications en génétique. La thérapie génique —littéralement, réparer un gène défectueux— était l’une de ses applications: l’université qui détiendrait le brevet sur les premiers traitements décrocherait le gros lot, croyait-on.

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James Wilson, expert mondial de la thérapie génique recruté par l’Université de Pennsylvanie, était également propriétaire de 30% de la firme de biotechnologie Genova Inc., qui avait investi 4 millions$ en cinq ans dans l’Institut, en plus d’accorder à l’université une participation financière.

Le grand public entend fort peu parler de ce type d’ententes universités-entreprises, mais elles sont courantes. Ce qui était inhabituel, c’était que James Wilson prenne part aux essais cliniques qui allaient suivre: plusieurs établissements, déjà, interdisaient formellement à tout chercheur possédant des intérêts financiers de prendre part aux essais cliniques, pour des raisons évidentes de conflit d’intérêt.

Il arriva ce qui devait arriver: en septembre 1999, Jesse Gelsinger, 18 ans, meurt des suites d’un traitement génique expérimental. L’enquête révèle que l’université n’a pas été transparente sur les effets secondaires subis par d’autres patients avant Gelsinger et que le rôle de Wilson et de ses collaborateurs violait les règles d’éthique. Le bilan est celui d’une course effrenée aux profits, aux médicaments-miracles et à la gloire, qui a conduit à la mort de ce jeune homme.

Contre-réactions

Les réactions indignées ont au moins eu un impact positif: un début de contre-réaction, qui s’étendra aux années 2010. Les revues sont désormais plus nombreuses à exiger des chercheurs qu’ils dévoilent leurs sources de financement. Les organismes subventionnaires américains ont resserré leurs règles de surveillance. Et même les relationnistes des universités se mettent à poser à “leurs” chercheurs des questions sur leurs conflits d’intérêt —des questions que même les journalistes ne pensent pas encore tous à poser.

Parfois, le dérapage est plus financier que médical:

- c’est la compagnie qui « gonfle » une annonce sur les cellules souches, dans l’espoir d’attirer davantage d’investissements du secteur privé; l’américaine Advanced Cell Technology s’est fait accuser deux fois de s’être livrée à ce petit jeu, en 2006 et 2001; - c’est la compagnie Celera Genomics fondée par le célèbre —et controversé— Craig J. Venter qui annonce en grandes pompes avoir achevé le décodage du génome humain, alors que celui-ci ne sera en réalité complété que deux ans plus tard; - et le mois dernier, c’est une étude qui s’amuse à plaquer sur le monde de la recherche le vocabulaire de la finance: raretés artificielles et oligopoles...

Parfois, c’est un débat « interne », sur la légitimité de ne pas publier tous les résultats (au nom de la course aux brevets) alors que ceux-ci pourraient servir à toute la communauté (lire Breveter le vivant, pourquoi faire?). Le mouvement d’accès libre à la recherche, qui a lui aussi explosé au cours des années 2000 (L’information scientifique veut être libre), s’est en partie nourri de cette controverse.

Parfois, ce n’est même pas un dérapage, mais juste un flux d’argent qui s’en va dans une direction (Les affaires sont les affaires, 2000), parce qu’on fait miroiter des promesses. Pendant que d’autres secteurs, qui auraient pu être encore plus prometteurs, sont laissés en plan.

Mais dans tous les cas, toute tentative de réglementation de la part des gouvernements ou des revues scientifiques (2001, encore 2001, et 2006) se heurte à la résistance du puissant lobby pharmaceutique: des pilules qu’on aimerait bien retirer en catimini lorsque sonne l’alarme, d’autres, comme le Vioxx, dont les résultats défavorables avaient été un peu trop vite balayés sous le tapis, sans compter la tentative de freiner le développement des médicaments génériques... tout cela, au nom de la course au profit, et non à la découverte.

Bilan négatif: l’image du scientifique en prend pour son rhume, et ce n’est pas fini. Bilan positif: le citoyen moyen découvre, à sa grande surprise, que le scientifique est un être humain, et non une bestiole isolée dans sa tour d’ivoire. La porte ouverte à un dialogue, peut-être?

Pascal Lapointe

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