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Le Québec doit combler son retard pour s’adapter aux changements climatiques et cette adaptation « ne peut passer par la construction d’un troisième lien », s’exclame la professeure de l’École nationale d'administration publique, Fanny Tremblay-Racicot.

Ce tunnel autoroutier reliant Québec à Lévis que le gouvernement prévoit construire entre 2022 et 2031 va augmenter la congestion routière, comme à Houston avec la Katy Freeway —une hausse de 30 à 50% des temps de déplacement, parie celle qui présentait en mai une allocution sur les fondements scientifiques de l’intégration des transports et de l’aménagement du territoire, dans le cadre du colloque climat et gouvernance de l’ACFAS : « cette nouvelle voie va induire plus de trafic, en plus d’être contre la politique climatique mise en place par le gouvernement ».

S’adapter au climat, cela pose en effet des défis de gouvernance et de collaborations multidisciplinaires qui se doivent d’être proches du terrain, comme le démontraient les échanges à ce colloque. Car en plus de la lutte aux émissions de gaz à effet de serre (GES), il importe aussi d’adopter rapidement des politiques rassembleuses et efficaces en matière d’adaptation à la réalité climatique.

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« L’effort est plus mis pour l’instant dans l’atténuation, mais il faut nous attaquer à l’autre côté de la médaille, celle de l’adaptation, trop souvent évacuée par les décideurs et qui n’est pas assez soutenue financièrement», soutient Annie Chaloux, professeure à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke. Elle était co-organisatrice du récent colloque à l’ACFAS.

« La pandémie nous a donné un avant-goût des changements à mettre en œuvre. Il nous faut nous adapter en lien avec la science et avec les particularités locales et territoriales », poursuit celle qui est aussi directrice du Climatoscope, revue de vulgarisation scientifique sur la question. Les municipalités, les provinces et Ottawa, tous sont concernés par l’urgence climatique et doivent agir de manière concertée, alors qu’on en observe déjà les conséquences sur les écosystèmes, les communautés nordiques, les zones côtières qui s’érodent, les routes inondées, les îlots de chaleur urbains, et jusqu’aux terres agricoles.

Réviser nos manières de nous transporter

L’annonce du 3e lien est née du projet lancé en 2012 pour revoir le « spaghetti » des accès aux deux ponts de Québec. De la proposition du gouvernement libéral, en 2017, de choisir le lien gagnant entre cinq scénarios (deux à l’est, deux à l’ouest et un au centre), c’est l’option centrale qui aura été retenue, mais elle annonce des problèmes de congestion, d’étalement urbain et une hausse du camionnage. « On verra circuler 55 000 nouvelles voitures entre Québec et Lévis. Sans étude d’opportunité, c’est un cas flagrant de mauvaise gestion et d’aménagement », critique encore Fanny Tremblay-Racicot.

Une approche plus adéquate passerait plutôt, croit l’experte, par ce qu’on appelle l’approche RTA — Réduction de la demande, Transfert modal et Amélioration. En d’autres mots, il faut plutôt favoriser le télétravail ou le travail hybride (maison/bureau), revoir le design urbain pour donner une meilleure place à tous les modes de transport, une taxe sur l’essence, une baisse de prix pour les bus, une meilleure efficacité énergétique, etc.

Par contre, l’électrification des transports « doit être la dernière stratégie à valoriser dans cette approche, dit-elle. Il ne faut surtout pas augmenter la capacité routière. C’est le dilemme du prisonnier (ou Paradoxe de Braess) : les usagers vont prendre des décisions de transport pour maximiser leur intérêt aux dépens des autres et de la collectivité ».

En étudiant les planifications durables de transport nord-américain, particulièrement celles de Toronto et de Chicago, Fanny Tremblay-Racicot met plutôt de l’avant les  stratégies de développement orientées sur le transport en commun (TOD :Transit-oriented developpement). Par exemple, un aménagement de zones résidentielles et commerciales pour favoriser la circulation des bus ou le métro, de même que le covoiturage, soit ce qu’on retrouve avec GrowthPlan à Toronto. « Il faut que ce type de transport soit efficace, abordable et jumelé à du logement social, ce qui demande une vigilance et une volonté politique », convient l’experte.

C’est l’objectif de l’implantation des rues conviviales (« complete streets »), comme on en a vu apparaître à Montréal et à Québec, axées sur le transport en commun, les pistes cyclables, les piétons, en plus de l’implantation de mesures d’apaisement de la circulation (avancées de trottoirs) et la plantation de végétaux.

Doper les politiques publiques

Comment faire en sorte que les politiques d’adaptation aux changements climatiques soient implantées de façon plus efficace? Mieux consulter la population serait déjà un bon point de départ, relève la chercheure Nathalie Beaulieu. Avec son collègue Pierre Valois, de l’Observatoire québécois de l’adaptation aux changements climatiques à l’Université Laval, et des collègues internationaux, elle présente six études de cas.

Par exemple, à Mahone Bay, en Nouvelle-Écosse, un sentier et une piste cyclable intégrés au projet de rivage vivant ont permis d’obtenir l’adhésion de la population. « C’est devenu un projet phare pour la municipalité, qui cherche maintenant le financement pour le mettre en œuvre », relève l’experte.

Dans la même logique, avec leur « Resilient Boston Harbor », Boston et les villes avoisinantes planifient une constellation de plages et de parcs côtiers surélevés pour soutenir la promenade Harbor Walk et combiner protection de la ville et loisirs. « Ils prévoient des pistes cyclables et des voies piétonnes pour les quartiers plus défavorisés. Tout cela sera surélevé en une approche différente de celle mise en œuvre au Québec, où on privilégie plutôt la naturalisation des côtes pour lutter contre l’érosion », explique l’experte.

Les chercheurs observent par ailleurs que les projets publics d’adaptation auxquels la population est plus favorable combinent à la fois une réduction des risques et l’amélioration de la qualité de vie des citoyens, à travers du verdissement, des parcs ou encore la conservation des milieux naturels.

En d’autres termes, plutôt que de focaliser uniquement sur les risques climatiques, il faut mettre de l’avant les gains pour la qualité de vie des résidents. « La pandémie nous a permis de voir quelles étaient les personnes les plus vulnérables et comment nous pourrions nous inspirer des projets d’adaptation climatique pour avoir des impacts plus prononcés dans les milieux défavorisés », soutient encore Mme Beaulieu.

La crise sanitaire a en effet rappelé aux politiciens l’importance de miser sur la mixité des quartiers urbains, l’importance des parcs de proximité et la nécessité de soutenir une politique de logements sociaux pour que les familles nombreuses, et celles moins favorisées économiquement, puissent rester en ville.

Mettre la collaboration politique en avant

Encore faut-il, pour y arriver, une concertation au niveau politique: « Cela peut se faire au sein d’une agence de planification ou en fusionnant cette agence avec l’unité des transports, à l’exemple de Chicago. Cela prend des équipes multidisciplinaires », détaille Fanny Tremblay-Racicot,

Et travailler en collaboration aussi avec les acteurs locaux, premiers témoins des réalités régionales. « Ces acteurs sont au fait de leurs besoins, pas forcément les scientifiques. Il faudra donc faire un pont entre la recherche et les individus qui vivent avec cette nouvelle réalité », relève la Pre Chaloux.

 

Ce texte a été mis à jour le 20 juillet: date de la proposition du gouvernement (2017 plutôt que 2014), nom du plan torontois (GrowthPlan) et fusion avec l’unité des transports (Chicago seulement). 

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