2020-2021

Prédire les événements de l’année à venir est toujours un jeu difficile. Se projeter de 10 ans dans le futur, c’est courir un risque. Et pourtant, il y a des tendances qui, bien que noyées dans le flot quotidien de l’actualité, n’en sont pas moins très nettes. 

1) L’avenir de la planète: l’année 2030 a été mentionnée plus souvent que jamais dans les 12 derniers mois, à titre de cible à ne pas rater. Il resterait donc 10 ans aujourd’hui si nous ne voulons pas éviter la catastrophe climatique. Ceci dit, militants et vulgarisateurs doivent se garder de donner l’impression que 2030 sera la fin du monde: rien ne changera au 1er janvier 2031 si les différents pays n’atteignent pas leur cible de réduction des gaz à effet de serre en 2030. Mais ce qu’un tel échec signifiera, c’est que peu importe la vitesse à laquelle nous réduirons ensuite nos émissions, même si nous apportons ensuite des changements radicaux à notre économie, il restera assez de CO2 dans l’atmosphère pendant les décennies suivantes pour qu’avant la fin du 21e siècle, la hausse de la température moyenne de la Terre dépasse les 2 degrés Celsius par rapport à l'ère pré-industrielle. 2020 donnera déjà un aperçu de la volonté des gouvernements de tendre dans cette direction: bien avant la conférence annuelle des Nations Unies, à Glasgow en novembre, on devrait en savoir plus sur la volonté des uns et des autres de soumettre des cibles de réduction des émissions plus sévères que celles soumises à Paris en 2015.

2) L’avenir de la mobilisation et des politiques: c’est également dès 2020 qu’on sentira si la levée de boucliers de la jeune population se poursuivra pendant toute la décennie. Les mouvements s’affaibliront-ils ou se radicaliseront-ils ? Il ne faut pas perdre de vue que cette mobilisation pour l’environnement est souvent imbriquée dans des mobilisations plus vastes contre les inégalités sociales, comme on en a vu en 2019, de la France jusqu’au Chili en passant par l’Iran : la suite dépendra donc aussi de la réponse des gouvernements. Sur papier, le Green New Deal proposé par des élus de Washington en février 2019 est une façon par laquelle, en s'attaquant à la crise environnementale, on s’attaque aussi à d’autres problèmes, depuis la création d’emplois dans les énergies nouvelles et l’électrification des transports, jusqu’à la lutte contre la pauvreté et la protection de l’eau potable. Le Green New Deal n’est pour l’instant qu’un projet, dont le sort dépend de l’élection américaine de novembre, mais il est déjà acquis que d’autres pays vont réfléchir, au cours de la décennie, au fait que la lutte contre la crise climatique s'inscrit dans une bataille plus large pour une société meilleure. 

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3) Cellules souches: des cellules souches seront vraisemblablement utilisées en 2020 pour traiter à plus grande échelle des maladies de l’oeil, du diabète et du Parkinson, si les expériences actuellement en cours continuent de s’avérer prometteuses. Mais puisque le domaine des cellules souches nous a habitués depuis aussi loin que les années 1990 à « prédire » des percées censées survenir dès l’année suivante, il est également possible que les années 2020 soient encore celles d’un optimisme prudent.

4) Organes de remplacement, embryons et éthique: en revanche, ce qui sera assuré de générer des débats épineux, ce sont les travaux jonglant avec des embryons, même quand ils ne sont pas viables. Une équipe de l’Université de Tokyo espère par exemple faire croître en 2020, dans des embryons de souris et de rats, des tissus faits de cellules humaines. Ces embryons « hybrides » seraient ensuite implantés dans l’utérus des femelles —une étape qui n’est autorisée au Japon que depuis l’adoption d’une loi en mars dernier. L’objectif, pour l’instant lointain: faire croître des organes de remplacement dans de tels embryons « hybrides ». Des expériences similaires sont envisagées avec des porcs. Où passe la ligne entre ce qui n’est qu’un amas de cellules humaines, et quelque chose de plus avancé, mais qui n’a pour l’instant même pas de nom scientifique?  La même question se pose avec la limite des 14 jours: dans la plupart des pays, il est interdit de faire croître plus de 14 jours un embryon humain utilisé à des fins de recherche, même si l'embryon n’est pas viable. La limite n’était que théorique jusqu’à récemment, or, on s’en approche de plus en plus. 

5) Polio, Ébola et maladie du sommeil: la polio ne sera pas éradiquée en 2020, mais alors qu’elle n’est plus présente que dans deux pays, un nouveau vaccin est attendu pour cet été. Quant à Ebola, le premier vaccin à avoir été approuvé continue de faire ses preuves sur le terrain, et pourrait normalement commencer à être produit à grande échelle en 2020. Enfin, l’Organisation mondiale de la santé espère éliminer bientôt de la catégorie « problème de santé publique » la maladie du sommeil, transmise par la mouche tsé-tsé.  

6) Nos origines: les études sur les gènes de nos ancêtres préhistoriques vont continuer de lever le voile sur l’Homo sapiens. Non seulement entendra-t-on encore parler des liens qui nous unissent à nos cousins d’il y a quelques dizaines de milliers d’années, néandertaliens et dénisoviens, mais les scientifiques sont en train de faire reculer l’horloge plus loin : on vient de récolter des protéines d’émail dans des dents vieilles de 2 millions d’années, et de l’ADN vieux de 400 000 ans a été récolté dans un ancêtre du Néandertalien.

7) Les Terriens envahissent Mars: alors que la fenêtre favorable à un lancement vers Mars est cette année en juillet (la suivante sera en 2022), ce sont peut-être quatre sondes qui partiront d’autant de pays différents: le véhicule européen ExoMars, chargé d’y chercher des traces de vie présentes ou passées. Le véhicule américain Mars 2020, dont une des missions sera de ramasser des cailloux qui seront ramenés sur Terre par une mission ultérieure. La première sonde chinoise, Huoxing-1 qui transportera un petit véhicule. Et la première sonde d’un pays arabe, Hope, des Émirats arabes unis, qui se mettra en orbite. 

8) Et ailleurs que sur Mars? Sur un horizon de 10 ans, le portrait est plus flou: les pressions de la Maison-Blanche pour envoyer deux astronautes sur la Lune dès 2024, plutôt que 2028, vont bousculer les budgets à long terme de la NASA et nul n’est en mesure de dire pour l’instant si les projets martiens ou plus lointains (Jupiter, comètes, etc.) devront être retardés. Sans compter le sort incertain de la station Lunar Gateway, censée servir de marchepied aux missions lunaires. Plus près de nous, les lancements d’astronautes sous l’égide de compagnies privées seront peut-être devenus routiniers en 2030 (les premiers doivent avoir lieu cette année). Mais entretemps, une décision devra être prise sur le maintien en vie jusqu’à la fin de la décennie de la station spatiale internationale. Quant aux Chinois, c’est peut-être dès 2020 qu’ils mettront en orbite leur propre station spatiale

9) La nouvelle route de la soie: l’offensive de « nouvelle route de la soie » par laquelle la Chine fait depuis 2013 des investissements gigantesques en infrastructures, de l’Afrique et du bassin méditerranéen jusqu’à l’Asie du Sud-Est et à l’océan Indien (des investissements dans 126 pays en 2019), est en train de transformer aussi la recherche scientifique. Des dizaines de milliers de chercheurs, plus précisément. Tandis que les médias parlent plus souvent d’investissements pour des routes et des trains à grande vitesse, des ports et des aéroports, des mines et de l’agriculture. Il existe aussi des investissements en science et en technologie, sous la forme de partenariats avec des centaines d’universités et de compagnies privées, de l’intelligence artificielle à l’eau potable en passant par les transports électriques. Il en résulte, écrivait Nature en mai, un virage dans les priorités que s’imposent en science des pays en voie de développement, ainsi que des priorités que leur imposaient jusque-là les autres pays riches. La carte des zones d’influence ne sera plus la même en 2030.

10) Surveillance et vie privée: attendez-vous à entendre parler de nouvelles percées en matière de reconnaissance faciale et de leur usage par la police. C’est déjà commencé, par exemple en Grande-Bretagne, et on apprenait l’an dernier que la Chine avait vendu à au moins 18 pays aux tendances autoritaires les outils mis au point pour son programme massif de surveillance par caméras et de reconnaissance des visages. Par ailleurs, attendez-vous à être inquiets du système de crédit social chinois qui entrera en vigueur en 2020: capable de suivre à la trace les citoyens et leur allouant des notes pour leur bon « comportement social ». En 2013, Edward Snowden avait été un éveilleur de consciences: plus de gens que jamais ont réalisé l’ampleur de ce qu’on pouvait apprendre sur eux, rien qu’à partir de leurs « méta-données » (qui appelle qui, quand, où, etc.) et autant les technologies d’encodage que les trucs et astuces pour laisser moins de traces numériques ont fait leur chemin dans le public. Mais l’absence de réglementation est demeurée le gros problème, comme l’a rappelé en 2018 le scandale Cambridge Analytica, et les années 2020 seront inévitablement celles de la réglementation: qui a le droit d’accéder à vos données, auxquelles, dans quelles circonstances. Jusqu’où cette réglementation ira-t-elle, sera un débat qui n’aura toutefois pas assez de la décennie, et qui sera dépendant du seuil de tolérance de l’opinion publique aux futurs scandales. L’idée d’une réglementation autour de la reconnaissance faciale commence, lui, à faire son chemin: l’Union européenne y travaille et la ville de San Francisco est devenue la première à interdire la technologie cette année

11) Désinformation: il y aurait plusieurs angles d’attaque pour ce thème. De une, en dépit de nos meilleurs efforts, il y aura (hélas) encore de la désinformation en 2030. De deux, on peut toutefois espérer que le plus tôt possible dans les années 2020, les décideurs et les influenceurs et les entrepreneurs auront réalisé que la désinformation, ce n’est pas juste un problème à combattre en politique, mais aussi dans l'information scientifique. De trois, si l’éducation à l’information (comment repérer une source crédible, comment vérifier une info, comment combattre ses biais, etc.) n’a pas pris un espace de choix dans le scolaire et dans la société d’ici 2030, on est tous dans le trouble.

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