Car des comportements comme le racisme, le sexisme ou l’âgisme se comprennent mieux à la lumière de notre forte tendance biologique à diviser le monde entre notre groupe d’appartenance et ≪ les autres ≫. Ainsi chez tous les primates, humains compris, de l’activation cérébrale associée à un danger survient en moins d’un dixième de seconde à la vue d’un étranger, à plus forte raison s’il n’a pas la même couleur de peau que nous. Et avec le langage, on peut rationaliser pourquoi tel autre groupe est inférieur et le dénigrer avec une grande polyvalence, allant de la micro-agression verbale… au génocide. L’inverse est aussi vrai. Mettez-vous en difficulté dans un stade avec un chandail d’une des deux équipes, et ce sont les fans de cette équipe qui vous aideront le plus, comme le montrent l’une des nombreuses études sur le favoritisme intragroupe.
En cette période des Fêtes, ça me fait penser à la fameuse trêve de Noël qu’avaient décrétée des soldats britanniques et allemands lors de la Première Guerre mondiale. En dépit des officiers qui voulaient qu’ils demeurent dans les tranchées à se tirer dessus, les soldats adverses ont passé la journée à chanter, prier et faire la fête ensemble. Et même à échanger des cadeaux et à jouer au foot ! Leur allégeance à leur patrie et à leurs supérieurs avait cédé la place à un « Nous » plus important pour ces jeunes gens, celui de célébrer comme les gens de leur âge le font à ce moment de l’année. Sachant tout ça, c’est sans doute moins la promotion d’une morale vertueuse qui peut faire une différence, que de comprendre les mécanismes de contrôle et les recatégorisations rapides qui sont à notre portée.
Le meilleur et le pire de notre espèce peut ainsi nous faire alterner entre espoir et désespoir. Mais si y a une chose qu’il faut se répéter, c’est l’idée que la soi-disant supériorité du libéralisme économique que les dominants entretiennent dans l’espace public, et qui accentue sans cesse les inégalités, n’est qu’un récit, un ensemble de justifications langagières. Et ça, ça veut dire que d’autres récits pourraient très bien être mis de l’avant à leur place et favoriser d’autres réalités sociales. Comme disait David Graeber, un anthropologue qui ne cachait pas ses affinités anarchistes :
« La vérité ultime et cachée à propos du monde, c’est que c’est quelque chose que nous créons. Et que nous pourrions tout aussi bien créer différemment. »
Pour lui, c’est quand on perd cette capacité d’imaginer et d’expérimenter de nouvelles formes d’existence collective qu’on se retrouve coincés et résignés, politiquement parlant, à croire que l’économie libérale capitaliste est l’aboutissement final de l’humanité.
En ces temps moroses où le discours d’une extrême droite décomplexée résonne de plus en plus dans les histoires officielles, je nous souhaite un temps des Fêtes avec des contes de Noël, certes, mais aussi à la création d’autres récits capables de nous faire retrouver un peu de notre humanité. Des récits qui nous feraient sentir « dans la même équipe », uni.es contre un ennemi commun si ça peut aider, qui pourrait être tout ce qui rend notre petit vaisseau spatial, la Terre, inhospitalière et potentiellement inhabitable. Je vous laisse trouver des exemples, c’est pas le choix qui manque pour se serrer les coudes.