La fracture de cette calotte glaciaire en deux îles de glace totalisant près d’une vingtaine de kilomètres carrés, constatée mardi dernier, n’est pas différente de ce qui se passe sur la glace qui recouvre un lac au printemps : des fissures apparaissent, annonciatrices que des changements sont en cours sous la surface. Et un jour, sans prévenir, ça pète.
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L’échelle de temps, évidemment, est très différente. Au Nord du Nord, sur la calotte glaciaire Ward Hunt, s’était formé il y a 3000 à 4000 ans, ce que les glaciologues appellent un lac épi-plateforme (en anglais, epishelf lake). C'est un type de lac unique, qui naît lorsque des montagnes de glace bloquent l’embouchure d’un fjord: dans ce cas-ci, le fjord Disraeli, à droite sur la photo (cliquez sur la photo pour voir l'agrandissement).
L’eau douce qui tombe chaque année (en neige ou en pluie) s’accumule donc « au-dessus » du fjord, séparée de l’eau salée par un mètre de glace qui ne fond jamais. Des planctons d’eau douce et d’eau salée, de même que d’autres formes de vie, dont des algues microscopiques, se côtoient sans se visiter : un écosystème nouveau est né.
Selon les images du satellite canadien Radarsat, entre 2000 et 2002 ont commencé à apparaître d’énormes fissures dans cette glace qui ne fondait plus depuis 3000 ans. À partir de là, Warwick Vincent, de l'Université Laval, et son collègue Derek Mueller, prévoyaient déjà, en 2003, l'inévitable fracture de la calotte glaciaire. L’eau douce a immédiatement commencé à se déverser dans l’eau salée du dessous et, de là, vers l’océan. Les chercheurs ont évalué que c’était l’équivalent d’un mois des chutes Niagara : 3 milliards de mètres cube d’eau douce.
À l’été 2003, le lac s’était entièrement vidé. De son eau douce, et de son écosystème.
Pascal Lapointe