Si vous avez l’impression d’avoir manqué certaines des tuiles qui sont récemment tombées sur la tête des géants du pétrole, il y a de quoi : à moins de 12 heures d’intervalle, mercredi, trois de ces compagnies ont reçu de trois endroits différents, des revers qui ont un caractère historique.
Le revers dont on a le plus parlé dans les médias est la décision d’une cour néerlandaise en défaveur de Shell. La compagnie anglo-néerlandaise, stipule la juge Larisa Alwin, a l’obligation de faire plus d’efforts pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre, sur la base de l’Accord de Paris de 2015. Le verdict a été rendu dans le cadre d’un recours collectif intenté en 2019 par une coalition d’organismes environnementaux, auxquels 17 000 citoyens ont accepté d’ajouter leur nom.
Shell a annoncé dès mercredi qu’elle fera appel du jugement. Mais il s’agit néanmoins, d’ores et déjà, d’une première mondiale, dans un contexte où des poursuites similaires ont été intentées dans plusieurs pays, y compris au Québec.
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Une autre première a frappé l’autre géant pétrolier, l’Américain Exxon: dans le cadre de son assemblée générale annuelle des actionnaires, trois fonds d’investisseurs défendant l’urgence de lutter contre la crise climatique (et qualifiés dans les médias « d’activistes ») ont réussi à faire élire au moins deux de leurs représentants au conseil de surveillance, et ce, à l’encontre de la recommandation de la direction.
Si cet événement a fait beaucoup moins de bruit que le jugement néerlandais, il n’en constitue pas moins, lui aussi, quelque chose qui était depuis longtemps attendu: les environnementalistes tentent depuis plus d’une décennie de faire voter leurs résolutions ou de faire élire leurs représentants, lors de ces assemblées annuelles.
Et c’est un scénario similaire qui s’est produit le même jour lors de l’assemblée des actionnaires de Chevron, deuxième plus grosse compagnie pétrolière des États-Unis: une résolution des actionnaires oblige la multinationale à lutter plus énergiquement contre les changements climatiques et à réduire ses émissions de gaz à effet de serre.
Or, ces deux « rébellions » d’une partie des actionnaires, bien que moins spectaculaires qu’un jugement d’un tribunal, sont révélatrices d’une tendance lourde, amorcée depuis le début des années 2010 : le nombre croissant de fonds et d’investisseurs qui sont désireux de se désengager du pétrole a fini, pour la première fois, par avoir un impact à l’intérieur même de la structure de ces compagnies. Jusqu’ici, on avait plutôt affaire à des institutions, comme des universités et des fonds de retraite, qui retiraient leurs billes de tout placement lié au pétrole et au charbon. Mais jamais ces investisseurs n’avaient acquis un pouvoir suffisant pour faire pencher la balance au sein même des assemblées d’actionnaires.
Le fait que les énergies renouvelables soient moins coûteuses qu’il y a 10 ans a évidemment contribué à convaincre certains investisseurs, y compris ceux qui se soucient peu de la crise climatique. Mais l’image de plus en plus négative des compagnies pétrolières joue aussi de plus en plus contre elles et, par conséquent, contre les perspectives d’ouvrir de nouvelles régions, au Canada par exemple, à l’extraction de l’or noir.
Un des points communs entre ces trois événements est qu’ils mettent ces géants en face de leurs responsabilités dans la crise climatique: par exemple, dans le procès néerlandais, il a été allégué que Shell produit à elle seule 10 fois plus de CO2 que l’ensemble des Pays-Bas, et qu’elle ne peut donc pas se soustraire à des obligations entérinées par l’ensemble des pays de la planète.
Un autre des points communs entre ces trois événements est qu’ils mettent ces compagnies en face de leurs propres promesses des dernières années de s’attaquer à la crise climatique: ainsi, chez Exxon, le président Darren Woods avait semblé symboliser un changement de cap depuis deux ans, en s’engageant personnellement à travailler pour la transition vers des énergies vertes. Des promesses qui ont été accueillies comme insuffisantes par les critiques, et qui interviennent de plus dans un contexte où d’autres poursuites pendent au nez de la compagnie, accusée d’avoir dissimulé de l’information pendant des décennies sur ce qu’elle savait quant à l’impact des gaz à effet de serre.