Source: SNAP-Québec

La COP15 s’étant achevée par une entente entre tous les pays, quelles étapes reste-t-il pour préserver, défendre et restaurer la biodiversité québécoise? L’un des fleurons serait la rivière Magpie, l’une des plus importantes de la Côte-Nord avec ses 200 km sinueux, de la frontière du Labrador jusqu’en Minganie, à 60 km à l'ouest de Havre-Saint-Pierre.

Connue aussi sous les noms innus de Mutehekau Hipu, la « rivière où l'eau passe entre les falaises rocheuses carrées » ou encore Pmotewsekaw Sipo, pour « rivière le long de laquelle on marche parmi les arbustes », elle vient d’ailleurs de recevoir le statut de « personnalité juridique », dans une action commune menée par les communautés innues et des organismes de préservation du territoire québécois.

La Magpie pourrait symboliser les batailles qu’il reste à mener pour les habitats naturels à préserver. « C’est un outil juridique. Et si le gouvernement québécois décidait d’aller de l’avant et de ne pas préserver ce joyau naturel, nous pourrions nous tourner vers les tribunaux pour faire entendre ses droits », relève le responsable du projet de protection de la rivière Magpie pour la Société pour la nature et les parcs (SNAP Québec), Pier-Olivier Boudreault

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Le statut de personnalité juridique signifie en effet que la rivière possède à présent des droits propres, au même titre qu’un humain ou une corporation. Et il sera donc possible d’aller en cour pour les défendre grâce à une alliance – l’Alliance Muteshekau-shipu, qui regroupe la communauté d’Ekuanitshit, la Municipalité régionale de comté de Minganie, SNAP Québec et l’Association Eaux-Vives Minganie.

Ce projet de protection « par la bande » a reçu le Prix Droits et Libertés 2022 de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, lors de la récente COP15.

L’Alliance annonçait en décembre entamer des démarches pour faire inscrire la rivière à titre d’Aire du patrimoine autochtone et communautaire, un statut de protection reconnu par le Centre mondial de surveillance pour la conservation de la nature des Nations unies. Ainsi, la rivière Magpie pourrait être comptabilisée par le gouvernement du Canada en vue de l’atteinte de la nouvelle cible de protection du territoire de 30%.

Si ces groupes ont voulu mettre de la pression, c’est parce que ce joyau naturel, très populaire chez les adeptes de sports en descente de rivière, ne parvenait pas à trouver grâce aux yeux du gouvernement du Québec. Le projet d’aire protégée, défendu depuis de nombreuses années, n’arrive pas à voir le jour. En fait, on apprenait récemment qu’Hydro-Québec l’envisagerait comme cible d’un nouveau barrage hydroélectrique. Hydro-Québec précise toutefois: «bien que la rivière ait déjà figuré dans un ancien plan stratégique d’Hydro-Québec, nous n’avons aucun projet sur cette rivière actuellement. Cependant, c’est qu’il serait prématuré de renoncer au potentiel d’une rivière, quelle qu’elle soit, en ce moment ».

Profitant de l’attention médiatique internationale de la COP15, Québec a rappelé que le Plan nature 2030 soutiendra, avec 23 millions$ à la clé, les initiatives des communautés autochtones en matière de conservation de la biodiversité.

Ce qui pourrait être prometteur pour cette rivière, sachant qu’il s’agit d’un projet qui fait consensus dans la région. Il y a un lien socioculturel important entre la Magpie et les habitants de la Minganie, particulièrement les Premières Nations.

Des obstacles comme des pierres

Il est certain que nos divers appétits – dont celui en hydroélectricité – se dressent parfois contre notre volonté de sauvegarde du patrimoine naturel.

Depuis le Sommet de la Terre de Rio en 1992, et sa déclaration-cadre sur l'environnement et le développement durable, plus d’une centaine d’États, en plus d’ONG et de chercheurs, se rencontrent tous les deux ans pour mettre de l’avant protection, restauration, aménagement et mise en valeur de la diversité biologique. C’est  lors du 10e de ces sommets (COP10), à Aïchi (Japon) en 2010, qu’avaient été adoptées des cibles pour 2020. Aucune n’a été atteinte.

L’entente intervenue dans la nuit de dimanche à lundi à Montréal, au terme de la COP15, contient 23 nouvelles cibles que les différents pays s’engagent à atteindre d’ici 2030, notamment la protection de 30% des terres et des océans (près du double d’aujourd’hui), la réduction de 500 milliards$ des subventions « nuisibles » à la nature, et une restauration de 30% des terres « dégradées ».

S’entendre sur des cibles quantifiables faisait partie des enjeux de la COP15, alors que plusieurs des participants relevaient que les objectifs proposés étaient jusque-là trop modestes ou trop vagues. « Il est temps d’embrasser la civilisation écologique et d’agir sur la longue liste de la dégradation de notre biodiversité (pollution, pesticides, climat, etc.). Ce que nous voyons, c’est la pointe de l’iceberg de cette crise majeure », soutenait la semaine dernière le cotitulaire de la Chaire de recherche du Canada en biodiversité nordique, Dominique Berteaux.

Rappelons que près d’un million d’espèces animales et végétales, sur les huit millions connues, pourraient disparaître, selon les chiffres récents de l’IPBES (le groupe international d’experts sur la biodiversité). Et les trois quarts des territoires terrestres, tout comme les deux tiers des milieux marins, connaissent des dégradations en raison des activités humaines.

L’entente prévoit également que l’aide internationale pour la conservation passera de 10 milliards par an à 20 milliards d’ici 2025 et à 30 milliards en 2030. Les organisations non gouvernementales interrogées lundi étaient globalement satisfaites de l’entente. Si les pays riches respectent ces promesses, cela pourrait persuader les pays en voie de développement de suivre les consignes internationales de préservation.

« Nous avons l’habitude de penser à court terme alors qu’il est urgent de revoir notre mode de croissance. Et plus particulièrement pour nous, il faudra aussi payer la note passée, tout en persuadant les pays du sud de se joindre à la lutte », note encore le Pr Berteaux.

Des chantiers locaux

Au Canada et au Québec, la faible densité de population joue en faveur de la sauvegarde du nord du territoire, alors qu’il faudra préserver et restaurer le sud, là où il y a beaucoup plus de biodiversité. Le souci majeur reste le changement de vocation des terres, qui deviennent des champs ou des banlieues : « la première menace est la destruction des habitats. Il est temps d’agir là où c’est le plus difficile », ajoute le chercheur.

L’exemple de la rainette faux-grillon et de la négligence de la ville de Longueuil à s’opposer aux promoteurs immobiliers, résonne encore comme un recul.

Le Québec est par ailleurs riche en rivières et en bassins versants formant des écosystèmes reliant des milieux terrestres et aquatiques. Il faut accorder plus d’attention è l’écologie des eaux douces, rappelait la professeure titulaire au Département des sciences biologiques de l'Université du Québec à Montréal, Beatrix Beisner. « Nos organismes vivants sont moins charismatiques, mais l’activité humaine a des impacts directs sur eux, avec l’urbanisation, et indirects avec le lessivage des sols, les engrais, etc. »

Un autre des chantiers importants : modifier la Loi sur les espèces menacées et vulnérables, dont la liste n’a pas été revue depuis plus de 10 ans. Le gouvernement québécois vient d’entamer un processus de révision touchant plus particulièrement 27 nouvelles espèces, dont la rainette faux-grillon de l’Ouest, qui pourrait passer de vulnérable à menacée.

Sans oublier l’augmentation des aires protégées, qui représentent pour l’instant 17% du territoire, essentiellement dans le Nord, et 10% du milieu marin. Et sans oublier l’importance de les relier entre elles. « C’est bien de protéger, mais il faut que les espèces puissent circuler au sein de corridors. Il faut aussi se préoccuper des 70% restants qui devraient être aussi durables », remarque le Pr Berteaux.

Le gouvernement du Québec a lancé à ce sujet un projet de Réseau de suivi de la biodiversité, doté de 75 indicateurs mesurant la biodiversité de différents milieux —humides, terrestres, aquatiques— et même à l’échelle du territoire —les aires protégées ou les menaces en lien avec les activités humaines.

Mieux connaître l’étendue de la dégradation avec des indicateurs quantifiables, cela reste primordial. On ne peut protéger que ce qu’on connaît bien, et il s’agit d’un chantier d’importance où les citoyens québécois pourraient aider, avec des programmes de valorisation et de collecte d’information, comme le programme sur les papillons monarques.

Pour le chercheur, la crise de la Covid-19 nous a montré qu’il est possible d’entamer une décroissance, et d’être solidaires avec les pays en développement. « La biodiversité, c’est un baromètre, comme le climat. Cela nous oblige à penser plus profondément à des problèmes de déséquilibre écologique. Nous devons prendre conscience de nos actions, restaurer, préserver et marteler le même message. »

Le rôle de la recherche

Les recherches sur la biodiversité n’ont pas fini de révéler de nouveaux secrets. Ce qui pourrait influencer les politiques de conservation.

À titre d’exemple, les revues scientifiques Nature Ecology & Evolution et Nature Communications ont publié, en 2022, deux cartographies mondiales de la biodiversité des arbres et des végétaux (ici et ici), qui apportent un regard un peu différent sur la biodiversité mondiale. La première souligne que la richesse des forêts tropicales ne peut pas simplement s’expliquer par des facteurs climatiques, tandis que la seconde conclut que les steppes de l’Europe de l’Est abriteraient autant d’espèces végétales que la forêt amazonienne.

Mais encore faut-il écouter ces recherches. Dans le cas du caribou forestier, les données sont connues depuis des années et il subsiste malgré tout beaucoup de désinformation, selon le professeur titulaire en écologie animale à l’Université du Québec à Rimouski, Martin Hugues St-Laurent.

« On a mis en doute les nombreuses données disant qu’il s’agit d’une espèce en déclin et certains ont même soutenu que la faute était seulement du côté du climat. C’est frustrant et on se pose parfois des questions sur la bonne volonté des gouvernements » relève le chercheur.

Le caribou forestier ou « des bois » est disparu des provinces maritimes et serait en voie de disparition au Québec. Il est actuellement considéré comme une espèce menacée au sens de la Loi sur les espèces en péril du Canada, et bénéficie donc d’une protection, tandis qu’il est « espèce vulnérable » au Québec.

Les récents changements au sein du gouvernement québécois – la faune et les parcs dépendent maintenant du ministère de l’environnement et les forêts, dépendent du ministère des ressources naturelles— redonnent un peu confiance à Martin Hugues St-Laurent : il y a eu une écoute différente, tout comme la présence de la COP15 à Montréal a mis « de la pression sur le gouvernement québécois, de ne plus attendre pour prendre des actions fortes de protection ».

Sauvegarder la biodiversité relève avant tout de politiques et d’actions, comme on a pu le voir durant ces deux semaines de COP15 à Montréal.

 

Ce texte a été mis à jour le 5 janvier avec les nouvelles démarches de l’Alliance (6e paragraphe) et une réaction d’Hydro-Québec (7e paragraphe).

Photo: SNAP-Québec

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