Robert F. Kennedy est en effet connu aujourd'hui comme le fondateur et directeur, depuis 2011, d’un des groupes antivaccins les plus influents —et les plus riches— du monde anglophone, Children’s Health Defense. Mais la liste des affirmations étranges de cet avocat qui fut jadis un défenseur de causes environnementales s’étend bien au-delà des vaccins. Par exemple: 

• il a prétendu que l’élection présidentielle avait été truquée. Non pas celle de 2020, comme le prétend Donald Trump, mais celle de 2004; dans une entrevue en 2006 au magazine Rolling Stone, Kennedy a en effet affirmé que c’était une fraude électorale commise par les républicains, qui avait permis à George W. Bush de l’emporter sur le candidat démocrate, John Kerry;
• dans une discussion sur Twitter avec Elon Musk en 2023, il a attribué les tueries dans les écoles aux prescriptions de Prozac; il répète en cela une légende urbaine qui circule depuis des années, et qui a été souvent déboulonnée, par exemple par le média PolitiFact dès 2019;
• il a affirmé en 2023, dans une entrevue avec le populaire polémiste Joe Rogan, que le téléphone cellulaire causait des cancers et que ces cancers « sont toujours du côté de l’oreille qui utilise le téléphone »; l’affirmation de l’oreille est née d’une anecdote au début des années 1990 et a maintes fois été déboulonnée; 
• après l’adoption de la réforme de l’assurance-maladie du président Obama en 2010 (Affordable Care Act), il a prétendu que les compagnies pharmaceutiques avaient tiré les ficelles dans l’ombre, parce qu’elles donnaient depuis toujours leur argent au parti démocrate; en réalité, comme le révélait une analyse du magazine médical STAT en 2020, l’industrie pharmaceutique a favorisé les républicains dans 14 des 16 dernières élections; 
• il a prétendu, lors d’un dîner privé à New York en 2023, que la COVID était une arme biologique qui ciblait certains groupes ethniques et en épargnait d’autres, dont les juifs ashkénazes et les Chinois; une affirmation facile à déboulonner par la statistique et qui a été même démentie par les auteurs de l’étude que Kennedy prétendait citer.  

L’organisme qu’il dirige, Children’s Health Défense (CHD), est un groupe qui, sous ce nom consensuel, fait depuis plusieurs années la promotion de toutes sortes de théories pseudo-scientifiques. Mais avant la pandémie, la fausse association entre vaccin et autisme était la plus fréquemment diffusée. Il faut savoir qu’en novembre 2019, des chercheurs avaient calculé que plus de la moitié des publicités antivaccins sur Facebook provenaient d’une seule source, soit Robert Kennedy, surtout à travers le CHD.

Même les associations de défense des autistes démentent ce lien avec le vaccin.

Ceci dit, Robert F. Kennedy a changé son fusil d’épaule. Alors que, dans un texte d’opinion publié en 2005 dans les magazines Salon et Rolling Stone, il alléguait que le mercure contenu dans les vaccins avait causé une hausse de l’autisme, il affirme maintenant que le mercure était juste un des facteurs. Il faut savoir que le thimérosal, un agent de conservation composé pour moitié de mercure, n’est plus dans les vaccins depuis les années 1990 en Europe et depuis 2001 aux États-Unis —et que le pourcentage d’autistes a malgré tout continué d’augmenter. En réalité, l’augmentation du nombre de cas est le résultat d’une amélioration des diagnostics de cette condition neurologique qui, jusqu’aux années 1990, souffrait d’une définition encore floue. 

Qui plus est, contrairement à ce que prétendent les mouvements antivaccins, de nombreuses études, ainsi que des méta-analyses (des synthèses d’un vaste ensemble d’études) ont été menées depuis les années 1990, à la recherche d’un lien entre vaccin et autisme. Aucun lien n’a été trouvé. 

Beaucoup des affirmations de Robert Kennedy Jr ont en commun d’avoir besoin de théories du complot, puisque la seule condition pour que ces affirmations soient vraies, serait d’admettre l’existence d’un immense groupe secret de gens (gouvernements de tous les pays du monde, industrie pharmaceutique, communauté médicale, etc.) opérant en parfaite coordination dans l’ombre depuis des décennies: le vaccin qui créerait l’autisme, l’arme capable de cibler des groupes ethniques, les tueries de masse et le Prozac, la grippe espagnole de 1918… 

Le fait que ces théories soient aussi disparates et sans lien apparent entre elles, ne doit toutefois pas étonner: longtemps avant la pandémie, les psychologues qui étudient ces croyances avaient remarqué que dans la plupart des cas, une personne qui croit à une théorie du complot croit à une deuxième, voire une troisième. La raison étant que ces théories se nourrissent l’une l’autre : face à une situation angoissante (comme une pandémie) ou inexpliquée (comme un accident) notre cerveau cherche des explications rassurantes, et les mêmes « explications » peuvent convenir à plus d’une théorie —comme un complot du Deep State, ou de Bill Gates, ou du Forum économique mondial.  

Mais ces croyances prennent une nouvelle signification alors que l’homme est cette année candidat à la présidence des États-Unis, avec la capacité de nuire à l’un ou l’autre des candidats : à Biden, parce qu’il est perçu comme un démocrate, ou à Trump, parce qu’il est perçu comme anti-establishment. Un reportage du réseau NBC en 2023 avait noté que, dans son discours de près de deux heures annonçant sa candidature, de même que dans ses publicités, Robert F. Kennedy avait pris grand soin de ne faire aucune mention de ses activités d’opposant à la vaccination.