
Les vagues ne sont pas qu’à la surface de l’eau. Entre 5 et 10 mètres sous la surface, de puissantes vagues sous-marines circulent de manière imprévisible, occasionnant de grandes turbulences, autant dans les océans qu’au Québec. Cela peut déstabiliser les manœuvres des navires cherchant à accoster, d’où l’importance de mieux les comprendre.
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C’est ce qui s’est passé pour le cargo néerlandais Jaeger Arrow au terminal de Grande-Anse, dans le Fjord-du-Saguenay, en septembre 2019. Poussé au large lors de l’accostage par un fort courant qui l’éloignait du quai, le navire s’est fait prendre en cisaille par un fort courant en sens opposé.
« L’incident n’est pas dû à une erreur du pilote, c’est l’effet des vagues sous-marines », raconte l’experte en océanographie physique de l’Institut des sciences de la mer de l’Université du Québec à Rimouski, Sandy Grégorio.
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Lorsqu’un navire accoste, il se déplace à très faible vitesse pour limiter les risques de collision. En raison de sa masse, il possède une forte inertie. Cela lui prendra donc du temps pour changer de direction ou s’arrêter.
Et si un courant imprévu le pousse latéralement, la correction de trajectoire sera lente et difficile, rendant la manœuvre d’autant plus délicate lorsqu’il est tout près du quai. Plus les perturbations sous-marines sont puissantes, plus cela peut entraîner un accident.
C’est ce qu’ont mis à jour les chercheurs québécois dans une récente étude parue dans la revue Scientific Reports, sur les déplacements complexes de ces masses d’eau invisibles et géantes, qui sévissent également au sein des fjords et des estuaires.
Mal connues du public et même des marins, ces vagues se forment à l’interface des eaux de densités différentes – elles n’ont pas la même masse pour un même volume - comme ce que l’on retrouve dans le Fjord-du-Saguenay avec une couche d’eau saumâtre, plus légère, et une eau salée, plus lourde, présente dans le fond.
La perturbation dans cette interface des deux couches d'eau de densités différentes –qu’on appelle la pycnocline – peut créer des vagues sous-marines qui se propagent en puissants trains de vagues de près de 10 mètres de haut et de 50 à 100 mètres de longueur, sous la surface.
Cette circulation de multiples vagues rapprochées entraine de larges courants contraires, par exemple avec des mouvements vers le quai et vers le large. «Ces courants contraires forment une zone plus dangereuse pour réaliser des manœuvres spécifiques et délicates, comme un accostage », relève la chercheuse.
Si elles se produisaient à 50 m de profondeur, cela n’aurait pas d’impact pour les navires mais ces vagues opèrent dans leur zone de tirant d’eau, soit les dix premiers mètres.
Les courants contraires
Contrairement aux vagues que l’on observe à la surface, celles-ci avancent en train de plusieurs vagues de grande amplitude. Leurs mouvements complexes entrainent une déformation verticale de la colonne d’eau mais aussi des mouvements horizontaux qui entrent en collision avec des courants opposés.
Elles se forment même par temps calme, lorsque les masses d’eau salées et douces circulent sur des fonds marins inégaux, dont les reliefs viennent mélanger ces eaux et créer d’amples ondes verticales et rapides. « Des courants transverses dépassant 0,3 à 0,5 nœud, surtout lorsqu’ils apparaissent soudainement —en une à deux minutes— peuvent sérieusement compromettre les manœuvres d’accostage », insiste Mme Grégorio.
Les chercheurs ont entrepris en 2023 une surveillance des vagues sous-marines là où le cargo opérait. Ils ont pris des mesures par des thermomètres, pour relever les variations de températures verticales le long du quai, et d’autres instruments pour noter la densité de l’eau, la salinité et les courants, en plus des photos de la surface provenant d’une caméra du port.
Avec un échosondeur, ils ont aussi enregistré les grandes longueurs d’onde —à la propagation lente et à fort courant— de ces vagues sous-marines.
Ils ont aussi mesuré des courants générés par des vagues sous-marines qui atteignent jusqu’à 2 nœuds, avec des variations rapides pouvant aller jusqu’à 3 nœuds, ce qui est « bien au-delà du seuil critique pouvant perturber l’accostage », relève la chercheuse.
Les chercheurs ont également pu établir que les vagues sous-marines semblent opérer près de deux heures après la marée haute. Leur amplitude pouvait atteindre 30 mètres, soit la hauteur d’un bâtiment de 10 étages.
Les types d’environnement où ont été observées ces vagues sous-marines se retrouvent un peu partout dans le monde : dans le fjord du Saguenay, l’estuaire et le fleuve Saint-Laurent, le détroit de Géorgie entre l’île de Vancouver et la Colombie-Britannique, le détroit de Gibraltar, ou la mer de Chine.
Les chercheurs ciblent pour la suite de leur étude Port-Alfred, à La Baie, toujours dans le Fjord-du-Saguenay. Un port construit en eau profonde, dont les fortes marées et la navigation active s’avèrent prometteurs pour recueillir des données sur les vagues sous-marines.