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C’était un nouveau virus, et il n’y avait pas eu de pandémie aussi grave depuis un siècle. Il était donc inévitable qu'il y ait des erreurs, de la confusion ou de l’incohérence dans les décisions. Mais en 2022, il n’y a plus d’excuses. Sept choses à ne pas perdre de vue, sur la base des erreurs de 2020 et 2021.

1- Vacciner le reste de la planète

Tout le monde convient de l’urgence de réduire le fossé vaccinal entre les pays riches et les pays pauvres. Mais la question est régulièrement balayée sous le tapis des problèmes immédiats —c’est-à-dire ceux qui se passent dans notre cour. Or, on n’est plus à l’époque de la grippe espagnole, où les voyages en avion n’existaient pas, et où même les déplacements entre deux villes pouvaient prendre des jours: ce qui rendait impossible qu’une éclosion dans une région contamine le reste de la planète en moins de temps qu’il n’en faut pour apprendre à dire « Omicron ».

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En 2020, il n’y avait pas de vaccin. Pendant les premiers mois de 2021, il n’y en avait pas assez pour tout le monde. On n’en est plus là et pourtant, à peine 20% de la population africaine adulte est adéquatement vaccinée. Et « vacciner » ne signifie pas juste produire plus de vaccins: ça veut dire les distribuer dans les régions éloignées, avec du personnel adéquat. Parallèlement, ça veut dire partager la technologie pour que les vaccins à ARN puissent être fabriqués ailleurs et, à plus long terme, partager les recherches pour que ces autres fabricants soient à même de s’ajuster rapidement si un nouveau variant impose une nouvelle version du vaccin.

Il n'y a pas d'alternative: tant que ce virus continuera d'avoir des centaines de millions de personnes à sa disposition pour subir des mutations, il restera une menace

2- Réagir vite

Le 30 décembre 2019, la première alerte sonnait sur un mystérieux virus en Chine. Le 12 janvier, avec la première séquence génétique publiée, tous les scientifiques s’entendaient sur le fait qu’il s’agissait d’un nouveau virus, contre lequel on n’avait pas de parade. Le 30 janvier, l’Organisation mondiale de la santé décrétait une « urgence de santé publique de portée internationale », son plus haut niveau d’alerte. Et pourtant, il faudrait encore un mois et demi pour que la plupart des pays réagissent, pour qu’ils s’aperçoivent qu’ils n’avaient pas assez de masques ni assez d’équipements dans les hôpitaux, et pour qu’ils commencent à faire du dépistage.

L’histoire s’est répétée avec Omicron, à une plus petite échelle: le 23 novembre, première alerte. Dès le 28 novembre, 13 cas signalés aux Pays-Bas parmi les passagers d’un avion. Par la suite, bien que plusieurs se soient empressés d’interrompre les liaisons aériennes avec des pays d’Afrique (une mesure notoirement inefficace), il a fallu attendre Noël pour que la plupart des pays se mettent à resserrer leurs mesures sanitaires.

« Le principe fondamental d’une réponse à une épidémie est d’espérer le meilleur mais se préparer pour le pire », résumait le 28 décembre la journaliste scientifique Helen Branswell, qui couvrait les maladies infectieuses depuis bien avant cette pandémie. « Trop souvent, les gens ont oublié la deuxième partie de cette maxime. »

3- Réagir en fonction de données en temps réel

Faut-il ouvrir ou fermer les écoles, les commerces, les restaurants, les gyms? Maintenir ou non le port du masque à l’intérieur? Beaucoup de pays ont ouvert trop tôt et, dans certains cas, en ont payé lourdement le prix en hospitalisations. Personne n’a de boule de cristal, mais des systèmes d’alerte crédibles et des programmes pour suivre l’évolution en temps réel d’une épidémie, ça existe. On a vu comment, même dans un pays riche comme les États-Unis, ces systèmes laissent à désirer. En comparaison, c’est à cela qu’on doit la détection d’Omicron en Afrique du sud, pays doté d’un système d’alerte réputé (Network for Genomic Surveillance). Ça implique entre autres une capacité à faire du dépistage massif mais aussi, à obtenir des résultats rapides (comme au Danemark et en Grande-Bretagne depuis un mois).

En août dernier, Thomas Frieden, qui fut directeur des CDC sous Obama proposait avec des collègues une norme internationale qu’ils appelaient le « système 7-1-7 »:  chaque pays devrait être capable d’identifier toute épidémie suspecte dans les 7 jours suivant ses premiers cas, de la rapporter au reste du monde en une journée, et de préparer les actions appropriées —tout dépendant de la virulence du pathogène— en 7 jours.

« Notre plus gros échec collectif », juge en ce début d’année le directeur des programmes d’urgence de l’OMS, Mike Ryan, « a été d’avoir sous-estimé ce microbe ».

4- Investir davantage en santé publique

Une partie de ce travail de suivi relève de la santé publique, mais encore faut-il qu’elle en ait les moyens. Dès les débuts de la pandémie, on a noté qu’au Québec, la santé publique ne représentait que 3% du budget total de la santé. Qui est pourtant un très gros ministère: 90 millions en 2019-2020. Mais le gros de ce budget va aux « soins curatifs » —guérir, soigner— et aux infrastructures. Comme le notait à notre journaliste, en avril 2020, la directrice de l’École de santé publique de l’Université de Montréal, Christina Zarowsky, « il est très difficile de protéger les budgets et les activités de surveillance —y compris de dépistage—, de protection, et de prévention. Comme nous le voyons actuellement, ces activités de la santé publique "classique" sont incontournables ».

5- Laisser la politique en dehors de la science

Quand on en est rendu au point où on peut calculer que les comtés qui ont voté pour Trump subissent un taux de décès dû à la COVID plus élevé que les comtés qui ont voté pour Biden, c’est qu’il y a un problème, non pas au niveau du simple citoyen, mais au niveau politique. On a vu, aux États-Unis et dans des pays européens, des politiciens rejeter des mesures élémentaires de santé publique, sur la simple base de leur idéologie. Résultat, regrette Mike Ryan, ces gouvernements « n’ont pas convaincu leurs citoyens, ou encouragé leurs citoyens, à poursuivre les mesures de base pour réduire le risque d’infection ».

Helen Branswell, qui en a pourtant vu d’autres en matière de maladies infectieuses, admet avoir été surprise: « Dites que je suis naïve, mais il ne m’était jamais venu à l’esprit, avant cette pandémie, que ces chefs politiques mettraient les vies de leurs citoyens à risque en minimisant les risques, ou même en mentant à propos d’une maladie contagieuse, juste parce que dire la vérité pourrait nuire à leurs ambitions politiques. »

La seule chose positive qui pourrait en ressortir en 2022: qu’un grand nombre de ces partisans s’aperçoivent qu’ils ont été floués.

6- Mieux comprendre comment fonctionne la science

En février 2020, le mot « infodémie » était employé pour la première fois pour désigner l’épidémie de fausses nouvelles qui circulait déjà autour de la pandémie. Ça ne s’est pas amélioré en 2021: tout au plus le vaccin a-t-il remplacé le masque ou Bill Gates comme objet d’attention des désinformateurs.

Une partie du problème a depuis longtemps été identifiée, entre autres par les médias qui font de la vérification de faits: c’est qu’une bonne partie du public n’a aucune idée de la façon dont la science se construit. Il y a confusion entre une étude et une opinion, des chiffres sont sortis de leur contexte, des études sont sorties de leur contexte, et des scientifiques sont étiquetés à tort experts d’un domaine, spécialement quand ce qu’ils disent se conforme à ce qu’on veut croire. Ceci, ajouté au climat de polarisation qui est le nôtre: « ce qui m’a choqué le plus dans cette pandémie », déclare Mike Ryan au magazine de santé Stat, « a été cette absence de confiance ou cette perte de confiance » à l’égard des gouvernements et des scientifiques.

Comment éviter de tomber dans les mêmes pièges tendus par les désinformateurs en 2022, dans un univers où les Facebook de ce monde vont continuer de nourrir leurs abonnés de ce qui se conforme à ce qu’ils veulent croire? On peut certes poursuivre le travail entamé par les Détecteurs de rumeurs de ce monde, mais il faudra considérablement l’amplifier et l’accélérer, sans quoi on a un gros problème qui se pointe à l’horizon, avec la crise climatique.

7- Se préparer à la prochaine pandémie

Que ça plaise ou non, il y aura une prochaine fois. La prochaine pandémie ne sera peut-être pas aussi grave que l’actuelle: elle pourrait ressembler à celle du premier SRAS en 2003 ou à celle du H1N1 en 2009. Mais elle pourrait aussi être plus grave encore.

C’est inévitable: on découvre continuellement de nouveaux virus. Et les opportunités pour que l’un d’eux, pour l’instant unique à une espèce animale, subisse une mutation lui permettant de se transmettre aux humains, sont plus nombreuses que jamais, avec la croissance urbaine qui grignote petit à petit des écosystèmes  protégés. Rappelons que, dans le dernier siècle, plus de la moitié des nouvelles épidémies sont dues à des zoonoses, c'est-à-dire un virus issu du monde animal. 

Et attention, parce que si cette « prochaine fois » survient plus tôt qu’on ne l’imagine, le « nationalisme vaccinal » auquel on a assisté en 2021 risque de se reproduire à plus grande échelle: les pays pourraient être encore plus prompts à se refermer sur eux-mêmes pour se réserver non pas juste les vaccins, mais les bonbonnes d’oxygène, et tout le reste du matériel médical qui a manqué au début de 2020.

 

Image: Alexandra Koch / Pixabay

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